De la fosse aux fours - compte-rendu de conférence

De la fosse aux fours, le parcours du travailleur de la mort : compte-rendu de conférence


Par Guillaume Bouchard Labonté - 1er novembre 2017


C’est un auditoire captif et nombreux qui a assisté à la conférence de Julien Des Ormeaux, fossoyeur au Cimetière Notre-Dame-des-Neiges et membre du C.A. de deux organismes culturels : Fédération Écomusée de l’Au-delà et Patrimoine Funéraire Montréal. Ayant accumulé plus de vingt-cinq ans d’expériences et d’observations, il était la personne toute désignée pour nous parler de ce sujet que certains qualifieraient de particulièrement délicat.


M. Des Ormeaux a tout d’abord présenté un des organismes qu’il défend, l’Écomusée de l’Au-Delà, qui est dévoué à la sauvegarde du patrimoine funéraire. Reconnu entre autres pour la lutte qu’il a menée en faveur du développement cohérent du cimetière Notre-Dame-des-Neiges dans les années 1990, il se démarque aussi par ses nombreux colloques (le prochain se déroule d’ailleurs cette semaine), expositions et autres activités à caractère culturel. Dans le domaine, c’est tout simplement une institution incontournable et un excellent ambassadeur. L’Écomusée n’est pas tourné que vers le passé : actuellement, pour assurer tant leur entretien que leur pérennité, l’organisme propose d’ailleurs aux gouvernements de municipaliser les cimetières.


C’est un parcours géologique et historique du cimetière Notre-Dame-des-Neiges qui a suivi la présentation de l’Écomusée. La parenthèse géologique était particulièrement pertinente, car les sols du flanc du Mont Royal ont connu beaucoup de changements au cours des quinze derniers millénaires. La glaciation, tout d’abord, qui a donné à la région son relief particulièrement plat; la présence de la Mer de Champlain ensuite, qui a déposé du limon jusque sur la montagne, et qui y explique la présence de nombreux mollusques fossilisés.


C’est sur les anciennes terres du Docteur Pierre Beaubien que le cimetière Notre-Dame-des-Neiges fut inauguré en 1854.


Julien Des Ormeaux doit faire un saut de plusieurs millénaires afin de nous intéresser finalement au cimetière actuel. C’est sur les anciennes terres du Docteur Pierre Beaubien qu’il fut inauguré en 1854. À l’époque, le cimetière Saint-Antoine était jugé beaucoup trop petit pour répondre à la demande d’une population montréalaise en pleine explosion. Ce sont des religieuses qui l’administrent tout d’abord à partir de la maison de campagne de Beaubien, mais cette charge change rapidement de mains. On construit donc un centre administratif, un magnifique édifice qui est toujours en service aujourd’hui. On érige également une entrée monumentale, flanquée de deux petits pavillons en pierre. L’arche disparaît pour des raisons surtout pratiques, mais les deux bâtiments ont été habités jusqu’à récemment par le personnel du cimetière, avant d’être finalement transformés en bureaux.


L’intérieur du cimetière subit des transformations encore plus remarquables au cours de sa longue occupation. Julien Des Ormeaux nous apprend qu’au XIXe siècle, il faut être aisé pour bénéficier d’une sépulture privée ; les classes ouvrières sont généralement enterrées dans des fosses communes. Des ossements sont par ailleurs déplacés par milliers, et divers travaux de terrassement sont entrepris. Le paysage change donc de manière perceptible : en observant certaines photos d’époque, on constate par exemple la disparition graduelle de certaines dépressions. Le ruisseau qui coulait autrefois dans les environs a également été recouvert, comme une bonne partie des autres cours d’eau de l’île de Montréal.


L’art funéraire a lui-même connu une évolution impressionnante. Suffisamment pour en faire le cœur de l’exposé du 31 octobre! Et le cimetière de Notre-Dame-des-Neiges fourmille de monuments étonnants. Julien Des Ormeaux en a montré des dizaines ; nous en mentionnerons quelques-uns. Sur celui d’un dénommé Bounadere, par exemple, « premier arabophone canadien », figure une magnifique inscription en calligraphie arabe. Sur la pierre tombable de Marcel Ladouceur, on vante sa principale réalisation : « Pionnier de la disco ». Le cimetière compte également ses grandes personnalités aux monuments particulièrement glorieux : le caveau de la famille du maire Camillien Houde est surmonté d’une sculpture calquée sur le tombeau de Napoléon Bonaparte.


Un million de corps, des défunts de toute confession, ont été inhumés au cimetière Notre-Dame-des-Neiges. On pourrait en conclure que l’accès en est facile. Mais M. Des Ormeaux nous rappelle quelques exceptions historiques notables : celle de Joseph Guibord, penseur libéral du XIXe siècle, est la mieux documentée. Opposant de Bourget et des Ultramontains, on lui a refusé catégoriquement d’y reposer. Ce n’est que suite à un procès, et sous escorte armée, qu’il pourra finalement y être inhumé. Bourget, pour se venger, fera désacraliser cet emplacement.


Il y aurait encore beaucoup à raconter sur cette conférence passionnante. Si vous l’avez manquée, il est cependant possible d’en apprendre davantage sur le conférencier en écoutant cette entrevue diffusée ce printemps à Radio-Canada. Vous pouvez aussi approfondir vos connaissances sur un des débats qui a actuellement cours dans le milieu : Julien Des Ormeaux a récemment écrit un article sur l’aquamation, un procédé de plus en plus populaire pour disposer des corps des défunts.