Censure des journaux populaires au Québec: le livre

Censure des journaux populaires au Québec, 1955-1975 : les stratégies vicieuses du gouvernement et de l'Église


Par Guillaume Bouchard Labonté


Chercheure à l’Institut Simone de Beauvoir et professeure à l’Université Concordia, Viviane Namaste est l’auteure de plusieurs travaux portant surtout sur l’histoire du genre et de la transgression au Canada et au Québec. Ayant précédemment étudié la vie des artistes de cabaret – tout particulièrement celle des personnes trans et travesties qui animent ce milieu – il semble tout à fait naturel que les sujets de la censure, de la moralité publique et des « journaux jaunes » aient fini par l’intéresser, d'autant plus que certaines de ces publications sont justement vendues dans les mêmes cabarets!


Viviane Namaste passe donc d’une subversion à l’autre. Certains spectacles sont licencieux ; certaines publications le sont également. Et le contenu des « journaux jaunes » fait l’objet d’une vaste campagne de censure dans les années 50 à 70. C’est qu’on y trouve tout ce qui pourrait potentiellement « corrompre la jeunesse canadienne-française » : potins, caricatures obscènes, références à la sexualité dont l’historienne et sociologue cite quelques extraits évocateurs. Certains de ces journaux sont disponibles en ligne sur le site de la BanQ : c’est le cas notamment du Petit Journal et de Photo-Journal. Après vérification, plusieurs titres et sous-titres ont en effet de quoi causer la colère du curé. « Le ramancheux aurait eu la main leste avec sa patiente » et « EVA BARTOK – quand les Hindous la voient, ils rêvent de la transmigration des corps » affirme-t-on par exemple dans Le Petit Journal du 25 janvier 1959. Cependant, beaucoup d’articles sont également d’une banalité désarmante.


L’accent de la recherche est donc véritablement mis sur la colère des autorités civiles et cléricales qui tentent d’endiguer le fléau. Parmi les détracteurs, on compte le Cardinal Léger et le maire Jean Drapeau, mais également un très grand nombre de membres d’organisations catholiques, comme la Ligue du Sacré-Coeur. Ils viennent de tous les horizons et leurs stratégies sont diverses. Namaste remarque qu’un certain nombre de lois sont votées par les élus municipaux : celles-ci permettent aux distributeurs d’être poursuivis en justice, et grâce à elles, on parvient avec une grande aisance à saisir les dernières éditions imprimées de beaucoup de journaux jaunes. Plus machiavélique encore : des représentants de la campagne de moralité publique peuvent faire pression directement sur les vendeurs en kiosque, notamment dans de plus petites villes comme Rimouski. On exige d’eux qu’ils s’engagent sur l’honneur à ne plus vendre de publications scandaleuses, sous peine de boycottage!


Le livre de Viviane Namaste parvient avec une grande efficacité à nous faire comprendre l’idéologie et les pratiques reliées à la censure entre 1955 et 1975. L’auteure relève également des liens troublants entre ce phénomène et des évènements plus récents : saisies de publications destinées aux librairies gaies et lesbiennes, annulation de spectacles dans le cadre de festivals, pressions de producteurs pour refaire le montage de documentaires… Selon l’universitaire, si des facteurs économiques et stratégiques – un produit culturel est nettement mieux soutenu, en général, s’il est rentable – ont remplacé partiellement les justifications morales, les mécanismes sociaux et culturels à l’œuvre dans les années cinquante n’ont cependant pas totalement disparu.


Censure des journaux populaires au Québec, 1955-1975

Viviane Namaste                                            

Septentrion, 2017, 242 pages.