cuisine louisianaise - compte-rendu de conférence

Gastronomie louisianaise - compte-rendu de la conférence d'Ariane Jacques-Côté

Par Guillaume Bouchard Labonté, 15 mai 2019


Selon Ariane Jacques-Côté étudiante au doctorat en histoire à McGill et notre dernière invitée de la saison, la création de la cuisine traditionnelle de la Louisiane n'est pas due au hasard : elle est une création collective qui s'inscrit dans l'histoire environnementale de la région, sculptée par la violence du climat, mais aussi marquée par tous les peuples qui l'ont habitée.


Le développement de la Louisiane coloniale est plutôt tardif. En 1717, seulement 700 colons habitent la région. Le territoire est encore principalement occupé par des nations autochtones, parfois relativement puissantes (comme les Natchez et les Choctaws). Ces nations apportent des éléments très importants à la cuisine locale, dont le haricot et la courge, mais surtout le maïs, qu'ils cultivent de manière intensive. Selon la conférencière, on peut d'ailleurs rapprocher la sagamité, célèbre purée de maïs commune à tous les peuples autochtones de la région, du gru (ou "grits") actuel, qui accompagne toujours de nombreux plats locaux.


Mais alors que le peuplement de la colonie s'accélère à une vitesse impressionnante (9 000 colons européens s'installent en Louisiane entre 1719 et 1721), survient une crise qui aura des conséquences majeures sur la manière qu'auront les Louisianais de penser la nourriture. En effet, les terres marécageuses du delta du Mississippi, le climat capricieux (tropical en été, continental en hiver), les inondations fréquentes créent de graves problèmes aux colons. La nourriture se conserve mal et le ravitaillement est difficile. De plus, les carences alimentaires aggravent les conséquences des maladies tropicales. Les colons tombent comme des mouches!


Les périodes de crises poussent souvent les populations à innover, souligne Ariane Jacques-Côté. L'histoire de la Louisiane est un excellent exemple de cette tendance. Et chacun semble y mettre du sien pour combattre la disette. Les paysans allemands originaires de la vallée du Rhin, installés depuis peu dans la région, ont par exemple amené avec eux leur expérience de culture en vallée fluviale et parviennent à s'adapter aux particularités du terrain. Les esclaves africains, déportés par milliers, contribuent aussi à nourrir la population par la vente de leurs surplus agricoles - une pratique qui défie d'ailleurs le Code Noir français.


L'origine du riz, très présent dans la gastronomie louisianaise, est une question particulièrement épineuse. Les autorités coloniales étant fortement impliquées dans la culture à petite échelle (elles fournissent des animaux, des esclaves et semences à crédit), il serait facile de croire que cette céréale, bien adaptée au climat, ait été une idée imposée par le Régime. Selon Ariane Jacques-Côté, la réalité est sans doute plus complexe. De fait, les esclaves africains provenaient d'une région fortement marquée par la riziculture (le fleuve Sénégal) ; quelques-uns des Suisses de Louisiane étaient originaires de régions situées tout près de la Vallée du Pô, également rizicole ; enfin, le riz était déjà cultivé massivement en Caroline du Sud, une autre colonie avec laquelle des Canadiens-français ont pu pratiquer du commerce illicite.


D'autres pratiques culinaires sont plus spécifiques à certaines cultures qui formaient le substrat de la population louisianaise: la consommation de la saucisse et du chou fermenté, par exemple! Cela dit, dans la culture culinaire lousianaise, ces aliments sont très souvent mélangés à d'autres... dont les origines sont bien plus diverses.


Ariane Jacques-Côté ne croit pas à la théorie d'une origine unique. Selon elle, le riz et la plupart des plats de la cuisine louisianaise ont bénéficié des apports de tous: Autochtones, Français, Allemands, Suisses, Africains, Canadiens, etc.  Le gombo est donc selon elle un des symboles les plus puissants de cette tendance culinaire: elle est à l'image de l'histoire gastronomique de la Louisiane, une mosaïque culturelle, une création collective.