Esclaves au Québec: compte-rendu de conférence

Quelques réflexions sur l’esclavage : Compte-rendu de la conférence de M. Frank Mackey


Par Guillaume Bouchard Labonté – 11 avril 2018


Des milliers d’esclaves ont vécu au sein des frontières actuelles du Québec, depuis le régime français jusqu’au début du XIXe siècle. Frank Mackey, spécialiste de l’histoire des Noirs de Montréal et ancien journaliste à The Gazette, a décidé de s’attarder cette fois-ci à l’histoire des maîtres. Surtout à celle d’un personnage connu de l’histoire de Laval : Louis Payet, premier curé de Saint-Martin.


Ce n’est cependant pas à Saint-Martin qu’on voit pour la première fois Payet en compagnie de ses esclaves. Quand il fait l’acquisition de ses deux premiers travailleurs serviles, il n’y est déjà plus curé : il officie à Détroit. Il ne revient au Québec qu’en 1786 pour s’installer à Saint-Antoine-sur-le-Richelieu. Il est alors accompagé de deux esclaves noirs, qui meurent dans l'année. Cependant, il a pris goût à son mode de vie. Dans les années suivantes, il achète donc deux nouveaux esclaves.


À l’époque, l’esclavage est en pleine perte de vitesse au Québec. En raison d’un flou juridique, les tribunaux en viendront même éventuellement à considérer de facto les esclaves en fuite comme des personnes libres. Les projets de lois débattus à l'époque, et qui visent en théorie à abolir l’esclavage, auraient d’ailleurs plutôt eu l’objectif de modérer les ardeurs de certains juges dans leur application d’une abolition immédiate. Selon le conférencier, les auteurs des projets de lois souhaitaient plutôt qu’on n'abolisse que graduellement l’esclavage!


À l’époque, l’esclavage est en pleine perte de vitesse au Québec. En raison d’un flou juridique, les tribunaux en viendront même éventuellement à considérer de facto les esclaves en fuite comme des personnes libres.


Posséder un esclave est devenu, de plus, un choix questionnable : Louis Payet doit même se justifier auprès de son évêque, dans une correspondance au caractère particulièrement rare au Québec. Il y affirme que ses esclaves sont bien traités, et qu’ils ne traînent nullement, sur leurs épaules, le fardeau de la servilité. Il ajoute qu’il ne lui viendrait jamais à l’idée de les vendre, qu’il est comme un père pour eux. Selon Frank Mackey, ce type d’argument – qui suggère qu’un esclave est esclave pour son propre bien – est similaire à celui qu’on utilisera un peu plus tard dans le Sud des États-Unis. Une hypocrisie dans un cas comme dans l’autre, puisque quelques mois à peine après l’envoi de sa lettre justificatrice, Louis Payet achète une nouvelle esclave noire, Rose, qu’il revend par procuration un an plus tard.


Malgré ses impairs évidents, le prêtre n’apparaît pourtant pas comme un monstre. Frank Mackey insiste là-dessus à plusieurs reprises : l’esclavage faisait alors partie de la société, et beaucoup de personnes considérées comme respectables participaient à ce commerce. Par ailleurs, Louis Payet était généralement plutôt loué pour sa vertu : il était « zélé, expert, charitable et prudent » selon des observateurs contemporains, et figurait parmi les « prêtres recommandables pour leurs lumières et leurs vertus », selon une Sœur Grise qui a commenté la carrière du curé plus d’un siècle après sa mort.


Louis Payet ne fut pas le seul résident de l’histoire de l’île Jésus à avoir possédé des esclaves, à un moment ou un autre de sa vie. Charles Rhéaume, premier marchand de l’île, en a lui-même possédé plusieurs. D’autres grands personnages, de Marguerite d’Youville à Joseph Papineau, ont également été propriétaires. Frank Mackey s’interroge : à la lumière de ce qui se passe actuellement aux États-Unis et au Canada, que doit-on faire de tout cet héritage considéré à tort ou à raison comme gênant?