Évasions à Laval : compte-rendu de conférence
S’évader du pénitencier de Saint-Vincent-de-Paul – compte-rendu de la conférence de Guillaume Bouchard Labonté
Par l'équipe de la SHGIJ/CAL
12 septembre 2018
Une vingtaine de personnes ont assisté, hier, à notre première conférence de l’automne. Le titre, un peu provocateur peut-être, cachait en partie le sujet de fond abordé par le conférencier et étudiant au doctorat en histoire à l’UQAM : les conditions de vie, entre les murs, des détenus du vieux Pénitencier de Saint-Vincent-de-Paul.
Notre invité est catégorique : historiquement, la vie des détenus a à peu près toujours été difficile à Laval. Travail physique pénible à la carrière, violences quasi-quotidiennes, personnel abusif : le gouvernement lui-même, qu’on ne pourrait accuser d’être clément envers les marginaux, a à de nombreuses reprises réprimandé l’administration de l’institution. Après quelques années d’activité (le pénitencier a pris la place de l’École de Réforme en 1872, avant d’être considérablement agrandi), l’usage fréquent du fouet et le non-respect des droits élémentaires est déjà dénoncé par des fonctionnaires fédéraux.
Plusieurs des préfets qui se succèdent à la tête de l’administration de la prison quittent leur poste dans la controverse. Parfois, gardiens et détenus doivent même collaborer afin de mettre fin à certains abus : c’est le cas de ceux, constants, de l’administration Piuze. L’ex-militaire, qui fait l’objet de nombreux commentaires assassins de la part de la Commission Archambault à la fin des années trente, impose à tout le monde, détenus comme membres du personnel, une discipline brutale.
Au cours de cette décennie-là, le pénitencier est déjà jugé désuet. Et les choses ne devaient pas s’améliorer considérablement, car la surpopulation carcérale conduit le gouvernement à augmenter la durée de vie de plusieurs établissements qui ne sont plus du tout adaptés à leurs occupants. Au cours des années soixante et soixante-dix, on annonce sans relâche la fermeture imminente du pénitencier… qui restera de service, malgré tout, jusqu’en 1989.
Selon notre historien en résidence, cette indifférence généralisée envers le sort des détenus est une des principales causes des nombreuses « épidémies d’évasions » qui ont lieu tout au long de l’histoire du pénitencier. Car les moyens de pression des détenus n’entraînent que rarement des résultats heureux. Les émeutes (Guillaume Bouchard Labonté raconte de manière détaillée celles de 1886, 1932 et 1962, qui furent sans doute les plus violentes) sont sévèrement punies et souvent mortelles. Les manifestations de mécontentement collectif non-violentes (par exemple, le vacarme causé par les prisonniers lors de la « guerre des sceaux », au début du siècle) sont punies par des coups de fouet, l’isolement, la révocation du droit de procéder à des achats à la cantine et parfois même des prolongations de peine. C’est cher payé pour ré-obtenir le droit de fumer dans l’enceinte du pénitencier!
Dans les documents publicitaires des années cinquante, on présente deux choix à l’apprenti-délinquant : faire sa vie à la ville en pratiquant un métier honnête ou moisir en prison. L’évasion en est un troisième que le discours officiel ne mentionne pas à l’époque – pour des raisons évidentes!
Pourtant, des centaines de détenus du Vieux pénitencier sélectionnent cette ultime option. Parfois, au cours de la même année, on compte plus de vingt tentatives. Entre 1872 et 1910, ce sont essentiellement de petits délinquants sans histoire : ils ont été majoritairement condamnés pour vol. La population, pas très effrayée, participe donc aux battues, parfois même avec enthousiasme. Le conférencier constate que le modus operandi des fugitifs est presque toujours le même : ce sont des tentatives en apparence spontanées, qui ont lieu à un moment où les détenus travaillent à l’extérieur de l’enceinte, que ce soit à la carrière ou à la ferme. Jusqu’à l’arrivée de l’automobile, la stratégie la plus efficace implique sans aucun doute « l’emprunt » d’un canot à un habitant de Saint-Vincent-de-Paul et la traversée en urgence de la rivière des Prairies.
À mesure que le pénitencier se durcit et que les mesures de sécurité s’affinent, les aspirants fugitifs deviennent de plus en plus imaginatifs. Et on les considère de plus en plus comme des gens dangereux. Dans les années cinquante, affirme Guillaume Bouchard Labonté, la plupart des battues ont été remplacées par des appels anonymes et les journaux ne traitent plus de la question des évasions avec autant de légèreté qu’au début du siècle.
En 1875, il n’y a, à Saint-Vincent-de-Paul, qu’un pénitencier. Cent ans plus tard, un grand complexe carcéral, formé par un ensemble d’institutions, a avalé toutes les terres agricoles des alentours, des deux côtés de la Montée Saint-François. Le portrait est différent mais les évasions se poursuivent. Notre invité mentionne par exemple celle de Jacques Mesrine, Jean-Paul Mercier et de leurs amis en 1972 à l’USC (Unité Spéciale de Correction), qui est suivie d’une attaque ratée contre la prison. Pendant leur longue cavale, Mesrine et Mercier en auront beaucoup à dire sur les abus qui ont toujours lieu dans les prisons de Laval.
Le Pénitencier de Saint-Vincent-de-Paul est aujourd’hui à l’abandon. Il a laissé, dans l’esprit de plusieurs, de très mauvais souvenirs mais aussi des espoirs de liberté, croit Guillaume Bouchard Labonté. Préserver l’histoire de ce monument historique national et de ceux qui l’ont fréquenté reste, selon le conférencier invité, de première nécessité.