Femmes médecins À Rome et en Grèce: compte-rendu de conférence
Femmes médecins et magiciennes en Grèce antique – compte-rendu de la conférence d’Isabelle Dufour
Par Guillaume Bouchard Labonté, 6 mars 2019
Citant de nombreuses sources tirées de traités médicaux, de pièces de théâtre et d’inscriptions sur des monuments (surtout des stèles funéraires), Isabelle Dufour, étudiante à la maîtrise en histoire, a démontré hier l’importance des femmes impliquées dans les soins médicaux en Grèce et à Rome.
Mais la pratique de métiers reliés à la santé n’était pas aisée pour autant, notamment en raison de la stigmatisation qu’elle pouvait provoquer. Afin d’illustrer la perception très négative de certaines spécialistes des plantes et des soins médicaux, Isabelle Dufour raconte tout d'abord l’évolution du personnage de Médée, une magicienne mythique rendue célèbre par l’épopée de Jason et de la Toison d’or. Elle note que les premières versions du récit en faisaient essentiellement un personnage bienfaisant : c’est son rôle de soigneuse qui était mis de l’avant. Mais graduellement, les auteurs en font un personnage d’une rare cruauté, et ce seront ces derniers qui donneront naissance à la version du mythe qu’on connaît aujourd’hui, et dans laquelle elle massacre à peu près tout le monde, incluant ses propres enfants.
C’est que, selon Isabelle Dufour, les femmes qui connaissent les vertus médicinales des plantes deviennent avec le temps suspectées de concocter plus de poisons et de philtres que de médicaments. Le terme grec « pharmakon » signifie d’ailleurs, note-t-elle, à la fois « remède » et « poison ».
Malgré la dégradation de la réputation des herboristes, certaines femmes parviennent à se faire une place au sein du corps médical gréco-romain. Bien que quelques femmes aient pratiqué la médecine générale, elles occupent essentiellement des rôles spécifiques liés à la santé féminine et à la naissance. Selon l’historienne, c’est en lien avec la pudeur et le mépris de la biologie féminine. Les médecins n'avaient par exemple pas le droit d'examiner et de toucher leurs patientes! Ce dédain crée un vide que les hommes, souvent formés aux écoles d’inspiration hippocratique, hésitent à remplir.
Les sages-femmes et autres femmes spécialistes de l’Antiquité grecque et romaine parviennent donc parfois à atteindre un statut social assez élevé au sein de leur société. Plusieurs sont très instruites et quelques-unes signent même des traités médicaux. L’une d’entre elles, Métrodora, écrit un ouvrage entier sur la santé de l’utérus. Leur contribution est parfois reconnue par des praticiens célèbres, comme Galien, qui souligne l’importance des sages-femmes.
En bref, malgré la misogynie ambiante – et en partie à cause d’elle – plusieurs femmes parviennent à faire carrière, publiquement ou en retrait, dans la médecine et la pharmacologie. Elles n’ont pas nécessairement la vie facile. Leurs pratiques, notamment dans le domaine du contrôle des naissances, sont souvent reçues avec méfiance et leur réputation varie selon l’époque ou la spécialisation.
Les idées amenées par Isabelle Dufour, et qui permettent d'analyser ce phénomène en profondeur, sont très convaincantes et dûment documentées. Outre tout le travail mis dans la recherche, on peut sans doute attribuer une partie de la clarté de l'exposé dans le talent qu'a la conférencière à le livrer. Un talent qui n'est sans doute pas étranger à la chronique qu'elle tient régulièrement à la radio de l'UQAM et que vous pouvez écouter en suivant ce lien.