Histoire et genre : conférence d’Adèle Clapperton-Richard

Les « découvreurs », les « défenseurs », les « chefs » et les « mamans » : figures historiques dans l’enseignement de l’histoire nationale (1954-1980) : compte-rendu de la conférence d’Adèle Clapperton-Richard


Par Guillaume Bouchard Labonté – 9 mai 2018


Étudiante à la maîtrise en histoire à l’UQAM, Adèle Clapperton-Richard s’intéresse depuis longtemps à la question de l’enseignement de l’histoire au secondaire, et plus particulièrement à l’édition des manuels scolaires québécois. Ses recherches actuelles visent plus particulièrement à y évaluer le poids et le traitement des femmes en tant que sujets historiques entre 1954 et 1980, par le biais de l’analyse du discours.


Son premier constat est catégorique : le discours change radicalement en fonction du genre des personnages historiques. À l’ère du quasi-monopole clérical dans la publication de manuels scolaires (entre 1954 et 1966), du côté des femmes, la figure de la mère de famille reste un élément récurrent. Les mères y perpétuent entre autres l’héritage de la nation par le biais de leur famille nombreuse. Les adjectifs qui visent à les décrire sont très connotés. On les décrit comme des femmes dévouées, pieuses et infatigables. Lionel Groulx insiste par ailleurs sur leurs « mains rudes, gercées et grillées ». Mais surtout, on ne les nomme pas. Elles restent des figures archétypales. Quant aux personnages féminins célèbres, tels que Marguerite Bourgeois et Jeanne Mance, ils ne sont pas aussi anonymes… Mais ils restent en très petit nombre.


Au cours de la même période, le rôle des personnages historiques masculins est tout à fait distinct, note Adèle Clapperton-Richard. Si les archétypes plus abstraits ne sont pas totalement absents de la représentation masculine (elle évoque brièvement celui du cultivateur), ils restent en général nettement moins anonymes. Parmi eux, on identifie différents types d’acteurs : les découvreurs, les défenseurs et les chefs. Les qualités qu’on leur attribue sont d’une nature totalement différente. On souligne bien plus leur mobilité, leur génie, leur héroïsme et leur intelligence que leur dévouement. Des qualités fondamentalement associées à un rôle actif! Dans les manuels publiés entre 1954 et 1966, les hommes sont donc perçus comme le principal moteur de l’histoire. C’est visible jusque dans la terminologie : alors que les hommes sont des « hommes de la situation » (rôle actif), les femmes sont des « personnes toutes désignées » (rôle plus passif).


La laïcisation de l’édition des manuels scolaires ne contribue pas du tout à augmenter la visibilité des femmes. Au contraire, l’espace qu’on leur consacre, pour la seule étude de la Nouvelle-France, passe de 17,5% à seulement 5%!


On pourrait croire qu’après le Rapport Parent (1964) et les différentes réformes, les choses ont pu évoluer. Les années soixante sont marquées par des bouleversements qui devraient en principe conduire à une meilleure reconnaissance du rôle des femmes dans l’histoire du Québec. Mais dans les faits, la laïcisation de l’édition des manuels scolaires ne contribue pas du tout à augmenter la visibilité des femmes. Au contraire, l’espace qu’on leur consacre dans les manuels, pour l’étude de la Nouvelle-France, passe de 17,5% à seulement 5%! C’est dû en grande partie à la disparition de l’archétype de la mère de famille. Dans les années soixante-dix, l’Église catholique a perdu son rôle structurant en éducation, et conduire les écolières à s’inspirer des modèles de piété des temps anciens n’est plus tellement à la mode.


Pourtant, il y a bien quelques changements dans le discours, remarque la conférencière : l’image du coureur des bois dépravé, par exemple, se dissipe au profit d’une représentation plus héroïque, et le ton employé dans les manuels d’histoire est nettement moins lyrique qu’autrefois. L'accent est mis sur l'information. Le récit se veut toujours édifiant, mais d’une manière qui est plus adaptée aux valeurs dominantes de l’époque!


Au cours de la période 1954-1980, les manuels scolaires présentent en bref une vision profondément différenciée sur le plan du genre. Que leurs auteurs soient religieux ou laïcs, les femmes et les hommes y sont souvent stéréotypés… et ce n’est pas du tout à l’avantage des premières. Adèle Clapperton-Richard cite l’exemple du droit de vote des femmes : selon ce qu’on en lit dans les manuels scolaires, c’est Adélard Godbout qui en serait à l’origine – les luttes des femmes pour l’obtenir ne sont pas encore vraiment reconnues comme un facteur important. Quand on lui demande si depuis, les choses ont changé, notre invitée reste nuancée : elle constate que les manuels plus récents, et auxquels des femmes ont parfois contribué, comportent toujours de notables imperfections.