Hommes forts et festivals forestiers: compte-rendu

Hommes forts, un idéal masculin des festivals forestiers au Québec, 1967-1990 : compte-rendu de la conférence d'Alexie Maheu-Bourassa


Par Guillaume Bouchard Labonté - 7 février 2018


La première conférence de l’année 2018 concernait un sujet en apparence assez anodin : celui des épreuves de force dans les festivals forestiers entre 1967 et 1990.


Mais cette question creuse bien plus profondément l’histoire et l’identité québécoises qu’on voudrait bien le croire au départ. Plus que de simples prouesses sportives, elles s’inscrivent dans une longue tradition masculine, et reste le témoin d’une époque déjà révolue au moment où on tient les premières éditions de ces festivals.


Alexie Maheu-Bourassa, historienne à la Direction de l’archéologie et de l’histoire à Parcs Canada, a consacré ses années de maîtrise à l’étude de ces phénomènes. Déjà fascinée par l’histoire des hommes forts du Québec, l’idée de fouiller celle des bûcherons s’introduit graduellement dans son esprit vers 2013. Fouillant les journaux régionaux avec un grand sens du détail et de l’analyse, inspirée par le travail de Jacqueline Tivers, de David Norwood et de Michèle Jean, elle ne se livre pas à une froide inspection des festivals forestiers : sa réflexion est profonde, elle s’inscrit dans l'étude des représentations et du genre.


Les festivals forestiers du Québec ont connu leur âge d’or à une époque où le métier de bûcheron avait déjà été bouleversé par la mécanisation. Les chantiers du début du siècle n’ont rien à voir avec ceux des années 60-70 : les arbres tombent sans support mécanique, et l’usage des chevaux est encore bien loin d’être remis en question. A contrario, en 1967, les bûcherons sont majoritairement des opérateurs de machines... et des professionnels.


Les festivals forestiers du Québec ont connu leur âge d’or à une époque où le métier de bûcheron avait déjà été bouleversé par la mécanisation.


Mais c’est vraiment la réalité des pionniers du territoire qui est glorifiée par les festivals forestiers : un idéal disparu, celui des légendes. Alexie Maheu-Bourassa le souligne en montrant le rôle qu’assument avec entrain les participants aux épreuves de force et d’habileté. C’est toute une mise en scène qui les accompagne : les organisateurs tentent réellement de recréer l’idéal masculin associé à la force physique d’une « époque glorieuse ».


L’état de la participation féminine en est un indice supplémentaire et convaincant, nous dit la conférencière. Entre 1967 et 1990, seulement 15% des compétiteurs des festivals étudiés sont des femmes. Et si les légendes de femmes fortes font incontestablement partie du patrimoine immatériel québécois, ce n’est pas à ces dernières qu’on fait appel dans le traitement médiatique des évènements. Pour toute la période, l’historienne n’a trouvé que deux mentions de l’expression « femmes fortes » dans les articles traitant des festivals forestiers, et le ton était parfois presque celui de la dérision. Ce n’est pas lié aux performances des femmes bûcheronnes : dans l’un des exemples mentionnés, un journaliste remarque que la gagnante de la catégorie féminine de la coupe de billot a offert une performance identique à son homologue de la catégorie masculine : 12 secondes!


Il s’agit donc d’une affaire de représentations. L’image traditionnelle du bûcheron est celle d’un homme souvent héroïcisé à travers l’utilisation de personnages célèbres. La mascotte du Festival des Raftsmen de Hull – de loin le plus populaire – est d’ailleurs un immense colosse déguisé en Jos Montferrand.