Journaux et guerre en Amérique - compte-rendu

Décrire la guerre outre-Atlantique : le traitement de l’information dans la presse européenne du XVIIIe siècle (1754-1763) - compte-rendu de conférence



Par Guillaume Bouchard Labonté - 29 novembre 2017



On considère souvent l’histoire comme la recherche des faits relatifs au passé : mais elle ne se limite pas à une stricte série d’évènements. Le sujet d’étude de Jacinthe De Montigny, doctorante en études québécoises et invitée de cette semaine, est bien plus centré sur les perceptions, les rumeurs, la manière avec laquelle les autorités et les journaux veulent présenter leur propre version de la vérité à la population.


Sur ce plan-là, le cas de la guerre de la Conquête est un sujet particulièrement intéressant à disséquer. Tout d’abord parce que les belligérants ont des idées assez opposées sur certains évènements qui marquent le cours de la guerre : la mort de l’officier français Jumonville, par exemple. Traditionnellement, les Anglais affirment que Jumonville est mort pendant une bataille ; du côté français, on prétend plutôt qu’il a été assassiné en tant que diplomate.


En France, le caractère absolu de la monarchie s’exprime partout, incluant dans le contrôle de l’information. Le seul journal officiel est La Gazette de France, et le contenu y est révisé par des censeurs royaux.


Ce genre d’opposition n’est toutefois pas le seul clivage entre France et Angleterre. Jacinthe De Montigny note la différence marquée dans la culture journalistique des deux empires. Du côté britannique, la presse a obtenu une certaine liberté dans les années 1690. Le Licensing Act, un formidable instrument de censure, n’a donc plus cours depuis longtemps quand ont lieu les premières escarmouches de 1754 en Amérique. À Londres, les journalistes ne manquent donc pas d’audace et surtout, le nombre de publications y est relativement élevé.


En France, le caractère absolu de la monarchie s’exprime partout, incluant dans le contrôle de l’information. Le seul journal officiel est La Gazette de France, et le contenu y est révisé par des censeurs royaux. Ce monopole n’est contourné que par l’existence d’une presse francophone étrangère, souvent opérée par des Huguenots en exil (comme La Gazette d'Amsterdam) et des « journaux » quasi-clandestins et manuscrits, qu’on nomme « nouvelles à la main ».


C’est à travers toute cette complexité et parfois cette opacité médiatiques que doit naviguer Jacinthe De Montigny afin de trouver ce qu’elle cherche : l’information qui circule jusqu’en Europe au sujet de la guerre en Amérique. Elle constate tout d’abord qu’entre 1754 et 1756, La Gazette de France est d’une réserve troublante. On y parle très peu de ce qui se passe au Canada. La vaste majorité des sources viennent de l’étranger, essentiellement des colonies anglaises et de Grande-Bretagne. La mort de Jumonville elle-même ne semble pas émouvoir immédiatement les rédacteurs des gazettes. Ce qu’on considère souvent comme l’évènement déclencheur des hostilités entre la France et l’Angleterre ne fait couler que très peu d’encre! À l’époque, on parle bien davantage de la prise de deux navires français, l’Alcide et le Lys, par la marine anglaise. Cette couverture journalistique ne semble toutefois pas causée par un profond désintérêt envers nos « quelques arpents de neige ». Jacinthe De Montigny cite par exemple La Gazette de Leyde, qui affirme en octobre 1754 que la situation n’est tout simplement pas suffisamment inquiétante pour qu’on s’y intéresse de près.


Les gazettes, surtout anglaises, s’attardent aux grandes conférences et négociations diplomatiques qui visent à clarifier l’emplacement des frontières entre les colonies anglaises et la Nouvelle-France. Globalement, Jacinthe De Montigny juge que les journaux ne sont pas très enthousiastes vis-à-vis de la possibilité d’entrer en guerre contre la France : on espère que les négociations aboutissent. Parallèlement, la presse anglaise semble pourtant diffuser le projet de conquête. On y parle des préparatifs de l’armée et on mentionne l’importance stratégique du Canada, sorte de « porte d’entrée » du Nouveau Monde.


Le traitement de l’information contribue, selon Jacinthe De Montigny, à former ce qu’on désigne à tort ou à raison comme « l’opinion publique ». Et si celle-ci reste fragmentée et souvent difficile à interpréter, l’historienne peut tout de même, à partir de ses sources, conclure que « tout le monde ne pensait pas comme Voltaire »!