L'alcool et la drogue : compte-rendu

Contre la drogue et l’alcool : une histoire de contrôle. Compte-rendu de la conférence de Caroline Robert et d'Amélie Grenier


Par Guillaume Bouchard Labonté - 21 février 2018


Le programme double du 20 février dernier, animé par deux étudiantes à la maîtrise en histoire, Amélie Grenier et Caroline Robert, n’a laissé personne indifférent. Il nous a fait découvrir un pan inconnu de la lutte contre l’alcool et les drogues à Montréal.


Caroline Robert nous a parlé, surtout, du discours propagandaire des autorités et organisations visant à combattre l’alcoolisme. De son côté, Amélie Grenier s’est intéressée au trafic d’opium.


La stigmatisation vécue par certains groupes étudiés par les deux conférencières est troublante. Si la lutte contre l’alcool s’attaque aux familles pauvres de la classe ouvrière (car elle insiste sur le fait qu’il existe deux sortes bien distinctes de démunis, « les bons pauvres », et les « mauvais pauvres »), la lutte contre l’opium cible la population sino-canadienne.


Cette dernière est visée par 23% des arrestations liées aux questions de trafic de drogue. Pourtant, elle ne forme qu’un minuscule 0,5% de la population totale! Amélie Grenier identifie plusieurs facteurs qui expliquent ce déséquilibre. Tout d’abord, les Chinois représentent des cibles faciles : ils sont victimes d’un racisme latent. Ils sont décrits par plusieurs comme la cause réelle du problème de la drogue et les mauvais traitements qu’on leur inflige n’émeuvent que peu de Montréalais.


De plus, il est comparativement aisé de les arrêter massivement : les descentes dans les fumeries permettent d’en pincer plusieurs du même coup. Et pour les accusés, le fardeau de la preuve est inversé : ils doivent prouver leur innocence… ce qu’ils parviennent rarement à faire.


Il est malheureusement impossible de compter sur la bonne foi des forces policières de l’époque : elles ont  tout intérêt à maintenir le rythme des arrestations massives. Amélie Grenier note qu’au début des années vingt, la corruption était particulièrement répandue au sein de la police de Montréal – ce qui conduira les autorités à créer une commission d’enquête en 1924. Aussi, il ne serait pas étonnant que le système de corruption, bien documenté pour les maisons closes, se reproduise avec le trafic d’opium. Car les arrestations sont lucratives : les dénonciateurs reçoivent une « cote » sur le montant des amendes, et les policiers sont dédommagés quand ils doivent se déplacer et témoigner en cour.


Il ne faut pas sous-estimer la férocité de la campagne contre l’opium et contre le « péril jaune » : on estime qu’une proportion de 2% de la population sino-canadienne est non seulement arrêtée, mais même déportée du Canada!


Le parallèle, avec l’immoralité perçue d’une classe ouvrière prompte à l’ivrognerie, n’est pas difficile à faire. Et si les conséquences de cette autre stigmatisation frappent moins l’imaginaire par leur brutalité, elles restent tout de même marquantes : car l’alcool est un vice très répandu.


Au début du siècle, plusieurs prêcheurs de la prohibition ou de la tempérance voient dans la consommation d’alcool la cause de tous les problèmes sociaux. Et ceux qui subissent les inégalités sont bien évidemment les classes ouvrières. Caroline Robert identifie donc, à l’époque, un discours principalement issu des élites économiques et qui associe l’alcoolisme à tout ce que celles-ci peuvent culturellement et politiquement rejeter. Les grèves elles-mêmes sont parfois décrites comme des « orgies d’alcool ». L’alcoolisme est un argument qui vient donc justifier les inégalités sociales.


La question du genre est également au centre des campagnes anti-alcooliques. Les femmes alcooliques, selon certains, mettent carrément la nation en péril. Caroline Robert note que leur consommation est cependant différente de celles des hommes : ce n’est pas tant leur fréquentation des tavernes qui inquiète le plus que leur prise de sirops tonifiants. Or le tonique « Peruna », comme plusieurs autres, contient un haut pourcentage d’alcool.


Caroline Robert et Amélie Grenier nous ont apporté non seulement des hypothèses intéressantes, mais également une méthodologie rigoureuse. Elles ont cherché des confirmations à leur théories dans plus d’un type de sources et exploré un grand nombre de points de vue. Elles ont même, à l’occasion, anticipé des critiques qu’on aurait pu leur faire. Voilà qui témoigne d'une longue et profonde réflexion!