Le "Courrier de Colette" - compte-rendu de conférence

Le Courrier de Colette – compte-rendu de la conférence de Maude Savaria


18 mars 2020 - Par Guillaume Bouchard Labonté


Édouardina Lesage, mieux connue sous le nom de « Colette », est un personnage plus grand que nature. Après sa mort, un collègue journaliste avait d’ailleurs déclaré qu’elle avait « écrit une page d’histoire ». Les historien-ne-s se sont pourtant assez peu intéressé-e-s à elle. Voilà pourquoi Maude Savaria, historienne et archiviste, tente depuis quelques années de mieux comprendre son impact réel sur l’histoire du journalisme et du Québec. Nous l’avons reçue le 10 mars dernier.


Édouardina Lesage est loin d’être la seule journaliste canadienne ou québécoise à publier régulièrement ses articles au cours de la première moitié du XXe siècle. Robertine Baril, par exemple, écrit sous le nom de « Françoise » et de « Fanchette ». Cette dernière fonde même son propre magazine en 1902, qu’elle nomme le Journal de Françoise. Et que dire d'Éva Circé-Côté? Poète, dramaturge et journaliste, elle écrit elle aussi sous pseudonyme (celui de Julien Saint-Michel entre autres), notamment dans Le monde ouvrier. Ses opinions tranchées et sa contribution au monde de la presse l’ont fait passer à l’histoire.


La place qu’on consacre à Colette dans l’historiographie est comparativement assez modeste, note Maude Savaria. Peut-être en raison de son conservatisme? Éva Circé-Côté était en avance sur son temps et c’est, tout autant que sa visibilité, un trait qui a fasciné les chercheurs et chercheuses.


Selon Colette, la femme doit de préférence se marier à l’intérieur de sa classe sociale et choisir son époux avec discernement. Une opinion que semble approuver l’Église, puisque le Cardinal Léger lui remettra éventuellement une médaille pour services rendus.


L’importance de Colette n’en est pas moindre. Et ce qui marque sans doute le plus dans ses nombreuses chroniques écrites entre 1898 et 1956, c’est son ancrage dans la réalité sociale et culturelle. Dans son Courrier, on lui pose en effet de nombreuses questions en lien avec la vie quotidienne, sur la bonne manière de se comporter en société ou au sein du ménage, sur la mode, etc. Maude Savaria juge qu’habituellement, les conseils prodigués par Colette à ses lectrices et lecteurs sont relativement conformes à la norme de la société québécoise de l’époque. Il faut par exemple que le maquillage des jeunes femmes soit assez discret pour ne pas gâcher leurs chances de se marier, ou que les vêtements des travailleuses soient élégants… mais pas tapageurs.


Si Édouardina Lesage est restée célibataire toute sa vie, Colette donne néanmoins énormément d’importance au mariage. Selon elle, la femme doit de préférence se marier à l’intérieur de sa classe sociale et choisir son époux avec discernement. Une opinion que semble approuver l’Église, puisque le Cardinal Léger lui remettra éventuellement une médaille pour services rendus.


Colette n’est pas pour autant un simple relais du patriarcat : elle prend aussi à l’occasion la défense des femmes, notamment celles qu’elle appelle les « sœurs de la charité », c’est-à-dire celles qui compromettent leur propre épanouissement pour s’occuper de leur famille ou de leurs proches, ainsi que les ménagères qui n’ont pas accès à l’indépendance financière. Dans une chronique de 1934, elle affirme aussi que « Le journal est nécessaire à la femme moderne, plus qu’à l’homme encore parce qu’il se trouve pour ainsi dire la source unique où elle puisse alimenter son sens de l’actualité. » Selon Colette, l’info c’est le pouvoir! La journaliste développe donc une pensée nuancée sur plusieurs sujets; des idées bien à elle.


La Presse n’est pas le seul journal à publier une page féminine au cours de la première moitié du XXe siècle. Maude Savaria rappelle que les femmes, membres à part entière de la société de consommation, forment un public-cible intéressant pour les publicitaires. Les pages féminines représentent donc une incontournable une source de revenus. Mais il est difficile de rivaliser avec la popularité de Colette. La journaliste peut pratiquement recevoir entre 100 et 400 lettres par jour ! Et elle met énormément d’énergie dans ses réponses. Notre invitée la compare à une sorte de Google de la presse écrite, car les questions sont très diverses et la satisfaction des lecteurs et lectrices exige beacuoup de recherche.


La carrière de Colette dure plus d’un demi-siècle. Elle écrit dans au moins trois journaux et passe pratiquement 53 ans à La Presse. Suivre son œuvre, c’est suivre, en quelque sorte, l’évolution des mœurs et des normes au Québec, mais aussi les préoccupations quotidiennes de toute une communauté de lectrices.