Les réserves mohawk: compte-rendu

Akwesasne, Kahnawake, Kanesatake : L’épopée des réserves
Compte-rendu de la conférence d'Éric Pouliot-Thisdale


Par Guillaume Bouchard Labonté - 6 mars 2018


À la demande générale du public, nous partageons ici des liens menant aux travaux du conférencier: cliquez ici et ici.


C’est devant une salle comble qu’Éric Pouliot-Thisdale, chercheur et étudiant à l’UQAM, a raconté l’histoire de la démographie des communautés mohawk de la région métropolitaine. Se basant en grande partie sur les recensements des 300 dernières années, il est parvenu à  illustrer une série de phénomènes concernant le métissage, le nomadisme et l’évolution culturelle des communautés.


Et ce n'est pas un sujet facile, car l’histoire autochtone du Québec baigne dans le mythe. Le métissage entre Français et Autochtones en est un des plus difficiles à déconstruire : et pourtant, toutes les études sérieuses prouvent qu'il n’était pas aussi répandu qu’on le prétend généralement. Surtout dans les communautés mohawk étudiées par Éric Pouliot-Thisdale, où les mariages mixtes entre personnes de descendance européenne et autochtones sont historiquement assez rares!


Il faut se méfier des conclusions trop hâtives, en archéologie. Un tesson de poterie aztèque retrouvé sur un site du Lac Saint-Jean, par exemple, ne signifierait pas que ce peuple a déjà colonisé la région! L’artéfact original pourrait simplement avoir voyagé jusque là en suivant un vaste réseau d’échanges.


L’archéologie canadienne amène également son lot d’incertitudes. Tout d’abord parce que le commerce entre différents peuples peut créer d’amusantes confusions. Et il faut se méfier des conclusions trop hâtives. Un tesson de poterie aztèque retrouvé sur un site du Lac Saint-Jean, par exemple, ne signifierait pas que ce peuple a déjà colonisé la région! L’artéfact original pourrait simplement avoir voyagé jusque là en suivant un vaste réseau d’échanges. Ensuite, une mauvaise connaissance des déplacements de peuples semi-nomades peut pousser des archéologues à surestimer le nombre de « disparitions mystérieuses ». La littérature concernant les Iroquoïens du Saint-Laurent, qui ont habité longtemps sur l’île de Montréal, témoigne bien de ce problème. Éric Pouliot-Thisdale note la faible diversité des hypothèses concernant leur « disparition », surtout dans les universités francophones du Québec. Il affirme que les théories faisant état de déplacements successifs et intentionnels vers le sud sont également très plausibles, mais trop souvent rejetées du revers de la main en faveur de celles qui font état de leur « extermination » par les guerres ou par les seules conséquences du choc microbien. Et pourtant, la territorialité des peuples autochtones n’était pas aussi figée que la vision qu’on en avait en Europe à la même époque!


Les conclusions qu’on peut tirer des recensements ne sont pas moins débattables. Éric Pouliot-Thisdale en est parfaitement conscient. Une partie de sa conférence a justement porté sur les faiblesses des sources qu’il étudie. Tout d’abord parce que les Autochtones sont particulièrement mobiles, même après avoir été « installés » dans leurs communautés par les autorités. C’est particulièrement visible dans les environs de Kanesatake. Cette communauté a compté jusqu’à 70% d’Algonquins et de Nipissings. Or, ceux-ci ne passent que deux ou trois mois dans le sud, contrairement à la majorité des Mohawks. Mais même sans la présence d’une population traditionnellement nomade, les résultats peuvent étonner : d’un recensement à l’autre, à Akwesasne, la population peut croître de 50%, ou décroître tout aussi brutalement. Les difficultés que les employés du gouvernement rencontrent au moment de faire le recensement peuvent également pousser ceux-ci à « tricher ». De nombreuses erreurs se glissent aussi un peu partout : l’identité ethnique de l’homme à tout faire du prêtre François Marcoux, par exemple, change à chaque recensement. Ce n’est pas un cas isolé : d’autres familles autochtones sont parfois considérées, par erreur, comme d’origine canadienne-française.


Les noms eux-mêmes peuvent varier. Une bonne partie des changements de noms, imposés par le gouvernement, ont lieu à la fin du XIXe siècle. Souvent, on crée un nom de famille à partir du prénom de la mère. Pour la bureaucratie de l’époque, ce changement tombe sous le sens. Mais ça ne simplifie pas les recherches menées aujourd’hui…


Le chercheur aborde la question en riant : il ne semble pas entretenir de frustration face aux défis qu'apportent ses sources. Car à force de croiser les informations, il est tout de même parvenu à faire d’importantes déductions. Il a entre autres associé de nombreux patronymes (ou matronymes) du XXIe siècle à ceux du milieu du XIXe, et à analyser le flux migratoire des différentes communautés. Il n’a pas manqué, non plus, de lier ce récit très statistique aux tensions politiques, familiales et sociales qui ont marqué l’histoire des communautés mohawk de la région métropolitaine. Globalement, une réussite d'enquête qu'il doit à son intarrissable vigilance et à sa capacité de tout remettre en question - ce qui constitue un talent précieux, en recherche historique.