Milices du Bas-Canada: compte-rendu de conférence

Les milices du Bas-Canada : compte-rendu de la conférence de Luc Lépine


Par Guillaume Bouchard Labonté – 21 mars 2018


Au cours de la guerre de 1812, qui a opposé l’Empire britannique aux États-Unis, on a demandé à des milliers de conscrits canadiens français de se joindre à la milice dans l’objectif de défendre la colonie contre l’invasion américaine. Mais ceux-ci manquaient cruellement d’enthousiasme. Le 20 mars dernier, Luc Lépine, historien militaire et auteur de Le Québec et la guerre de 1812, nous a expliqué pourquoi.


Tous les hommes valides sont alors susceptibles de servir dans la milice, sauf les séminaristes et les curés. À la veille du conflit, on ompte donc 57 000 miliciens au Bas-Canada. Tout près de la moitié se trouvent dans le district de Montréal, incluant ceux de l’île Jésus, commandés par Joseph-Hubert Lacroix, seigneur de Blainville.


Participer à la milice du Bas-Canada, en temps de paix, n’exigeait toutefois pas d’immenses sacrifices, nous dit notre invité. Les hommes devaient s’assembler quatre fois par année et participer à des exercices sommaires. On vérifiait ensuite l’équipement, les munitions, et les miliciens « terminaient la journée à la taverne ».


Quand la guerre de 1812 est déclarée, la situation se complique. On tire au sort le nom 2 000 miliciens sédentaires pour former les Milices d'élite et incorporée. Or, le déploiement de celles-ci en zone potentiellement dangereuse, les mesures disciplinaires, les conditions de vie détestables et la peur d’une mort violente étaient de très bons arguments en faveur de la désobéissance et de la désertion. La population canadienne française se montre déjà, en partant, très réticente à participer aux efforts de guerre. Pour un certain nombre de facteurs économiques, culturels et sociaux! On pourrait les résumer en postulant qu’elle accepte la domination britannique, et que cela lui semble être déjà une démonstration de loyauté suffisante.


Les mauvais traitements causent beaucoup de mécontentement, voire des émeutes, comme celle de Lachine qui a lieu au début du mois de juillet 1812. Celle-ci fait un mort du côté des miliciens révoltés.


Au printemps 1812, la désertion est endémique au sein de la milice du Bas-Canada. Même parmi ceux qui répondent à l’appel – et ce n’est souvent qu’une fraction des conscrits de la Milice d’élite et incorporée – il s’en trouve des dizaines qui quittent le camp après y avoir constaté les conditions médiocres des installations. Les déserteurs n’ont généralement pas besoin de se cacher. Ils retournent simplement sur leur terre, reprennent leurs activités quotidiennes, continuent même de fréquenter l’église le dimanche.


Le gouvernement est cependant passablement convaincu d’avoir besoin des habitants du Bas-Canada. Il multiplie donc les mesures pour encourager… et punir. En 1812, les curés et les journaux deviennent d’importants outils de propagande. Parallèlement, les déserteurs sont de plus en plus sévèrement réprimandés : la cour martiale décide de leur sort. Plusieurs sont repris et envoyés en prison, où ils sont nourris à l’eau et au pain sec, note M. Lépine, ou emportés de force. Les mauvais traitements causent cependant beaucoup de mécontentement, voire même des émeutes. Celle de Lachine, qui a lieu au début du mois de juillet, fait un mort du côté des miliciens révoltés.


Ce n’est qu’au lendemain du début de l’invasion américaine que la désertion chute de manière dramatique. Selon Luc Lépine, cela s’explique assez facilement : les habitants du Bas-Canada se sentent dès lors un peu plus concernés par la guerre, puisque leurs terres sont directement menacées.


Parallèlement, on encourage les Canadiens français à s’engager dans un nouveau régiment de volontaires, les fameux Voltigeurs de Charles-Michel de Salaberry. Le recrutement est cependant assez difficile. On bonifie donc les gages en promettant cinquante arpents de terre et 5 Livres Sterling aux volontaires. C’est un hameçon auquel plusieurs Canadiens français finissent par mordre. Ils ne savent sans doute pas, au moment de signer, que leurs cinquante arpents seront situés dans un coin perdu où ne se rend aucune route, et qu’ils devront payer leur propre uniforme.


Les difficultés rencontrées par les officiers de la milice du Bas-Canada n’ont pas de conséquences fatales pour la présence britannique en Amérique du Nord. Le conférencier ne l’explique pas par la seule manifestation de l'héroïsme militaire : de fait, il souligne surtout l’état de désorganisation tout aussi critique des envahisseurs. Lors de la (première) bataille du moulin de Lacolle, par exemple, deux groupes de soldats américains s’affrontent, se prenant mutuellement pour l’ennemi.


Luc Lépine juge qu’après la fin de la guerre, en 1815, les Canadiens français ont su éviter le pire. Non sans humour, il ajoute que parmi les belligérants, ils figurent parmi les seuls à avoir réellement « gagné » puisqu’ils ont rempli leur objectif principal… Celui de se tenir le plus loin possible de la guerre.


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