Norman Bethune, héros chinois: compte-rendu

Norman Bethune, de médecin canadien à héros chinois: compte-rendu de la conférence de Pierre-Luc Dufour-Bergeron.


Par Guillaume Bouchard Labonté - 14 février 2018


Pierre-Luc Dufour-Bergeron, après avoir complété ses études à l’Université Laval, a été admis au doctorat en histoire à l’UQAM. Spécialiste des relations entre la Chine et le Canada, il s’est tout particulièrement intéressé à l’histoire du Docteur Norman Bethune. C’est donc la vie et l’impact de ce personnage devenu presque mythique qu’il est venu présenter au Centre Alain-Grandbois, le 13 février dernier.


Le parcours de Norman Bethune est tout simplement unique. Et devant une carrière à ce point impressionnante, nous serions tentés de nous noyer dans l’admiration du personnage. Ce que Pierre-Luc Dufour évite de faire avec soin. Il a raconté, dans sa conférence, le parcours difficile d’un homme créatif et généreux, mais également profondément têtu.


Né en 1890 en Ontario, Bethune ne grandit pas dans le luxe et le confort : son père, un pasteur autoritaire, lui rend la vie impossible. Cela ne le conduit toutefois pas à rejeter totalement sa famille, car son grand-père, un chirurgien-voyageur qui porte le même prénom que lui, l’inspire fortement. C’est manifestement pour suivre son exemple qu’il finit par choisir d’étudier la médecine.


Norman Bethune n’est pas un premier de classe : ses difficultés, notamment en langues modernes, le suivront toute sa vie. Il n’apprendra d’ailleurs jamais le français, au grand dam de ses collègues de l’hôpital Sacré-Cœur, où il travaillera pendant quelques années.


Selon Pierre-Luc Dufour-Bergeron, faire partie du cercle de relations de Norman Bethune n’est pas de tout repos. Sa vie amoureuse, par exemple, est une suite de mariages et de divorces… avec la même femme.


Il est également absorbé par son travail et dévoré par des difficultés financières : ses patients sont souvent issus d’un milieu très pauvre et n’ont pas de quoi payer. Parallèlement, sa santé décline. Il contracte la tuberculose en 1926. Mais cela ne le démonte pas : il devient rapidement un spécialiste de cette maladie, et contribue au développement de la technique du pneumothorax artificiel. Il invente aussi un certain nombre d’outils médicaux.


Graduellement, il découvre l’importance de développer une médecine plus sociale. Et c’est dans les années trente qu’il se radicalise, notamment au contact des communistes et suite à sa visite de l’URSS en 1935. Il se fait alors militant d’un système de santé public et gratuit, et multiplie les discours. Ses collègues prennent leurs distances, l’avertissent, mais il ne veut rien entendre. Il finit par assumer ouvertement ses convictions communistes… et il est congédié.


Ce sont les trois années suivantes qui feront vraiment de lui une légende. Engagé auprès des Républicains en Espagne dès 1936, il crée une unité mobile de transfusion sanguine et l’opère avec une grande efficacité. Mais son entêtement et son comportement dissipé lui coûtent sa mission. Souvent absent, il entretient une liaison avec plusieurs femmes – dont une journaliste suédoise, soupçonnée d’espionnage pour le compte des fascistes – et développe un gênant problème d’alcool. Il quitte finalement l’Espagne en 1937.


Dix ans après sa mort, Mao Zedong, qui a écrit un essai sur Bethune, en rend la lecture obligatoire. Le docteur canadien devient ainsi un héros national à l’extérieur de son propre pays de naissance.

Entretemps, une autre guerre est déclarée, cette fois entre la Chine et le Japon. Bethune, qui voit dans l’impérialisme nippon une nouvelle incarnation du fascisme, s’engage auprès du Comité d’Aide à la Chine et se rend dans le Nord, défendu par les communistes. Après plusieurs péripéties, il y ouvre un hôpital, qui est presque immédiatement bombardé. Il multiplie ses activités : il forme des médecins d'urgence, ouvre une usine de matériel médical, invente de nouvelles techniques et outils de fortune. Il apporte en bref une contribution importante aux soins de santé locaux dans un contexte très difficile, mais ce travail finit par l’épuiser. En août 1939, il songe sérieusement à rentrer en Amérique du Nord. Mais il n’en aura jamais l’occasion. Le 12 novembre, il meurt d’une septicémie.


Dix ans plus tard, Mao Zedong, qui a écrit un essai sur Bethune, en rend la lecture obligatoire. Le docteur canadien devient ainsi un héros national à l’extérieur de son propre pays de naissance. Sa réputation ne fera ensuite que croître. Pierre-Luc Dufour-Bergeron estime qu’aujourd’hui, assez peu de Chinois n’ont jamais entendu parler de Norman Bethune. Au Canada, son image est plus controversée. Il devient, en 1972, « un personnage d’importance historique nationale ». Mais son héritage est contesté : plusieurs acteurs de la vie diplomatique canadienne prétendent par exemple, à l’époque, que Bethune ne représente pas bien les « valeurs canadiennes ». Sa maison est néanmoins aujourd’hui un lieu historique national, et reste l’un des monuments les plus visités au Canada.


Peu flexible, arrogant, turbulent, dissipé : Bethune n’était pas un saint, et Pierre-Luc Dufour-Bergeron n’a pas écrit son hagiographie. Mais l’historien n’a pas manqué de souligner, malgré tout, l’incroyable génie du docteur canadien, et son importance tant dans l’histoire de la médecine que dans celle des relations internationales.