Pêcheurs gaspésiens: compte-rendu de conférence

Petits armateurs gaspésiens et solidarité familiale : compte-rendu de la conférence de Gabriel Cormier


Par Guillaume Bouchard Labonté – 14 mars 2018


Notre invité du 13 mars dernier a consacré sa maîtrise à un sujet assez original : les chaînes de solidarité qui ont permis aux pêcheurs gaspésiens, à la fin du XIXe siècle, de s’organiser et de renverser le quasi-monopole des grands propriétaires de navires.


La situation des pêcheurs gaspésiens, en 1870, est particulièrement mauvaise. Ils sont plongés dans un endettement perpétuel, un problème qui ne déplaît pas du tout aux grands armateurs qui tiennent alors les rennes de la production et de la distribution des produits de la pêche. Ceux-ci s’assurent ainsi un accès à une main-d’œuvre docile et à bon marché.


Mais les difficultés économiques de certaines compagnies et la faillite des banques avec lesquelles elles font affaire ouvrent la voie à des initiatives à plus petite échelle. Dans les années qui suivent, plusieurs voiliers sont donc achetés par de petits acteurs. Et ils le font souvent en partenariat avec d’autres personnes. Dans la décennie 1870, jusqu’à la moitié de la flotte de bateaux enregistrés dans les ports gaspésiens ont déjà plus d’un propriétaire!


Ce phénomène a beaucoup intrigué Gabriel Cormier. C’est pourquoi il a décidé de croiser les informations contenues dans les registres des ports avec les recensements. Il suit ainsi le parcours de nombreux propriétaires de navires entre 1870 et 1911. Et il en arrive à des conclusions très intéressantes. Tout d’abord, il constate que le partenariat dans l’achat des navires suit des réseaux divers. Ils sont soit orientés sur une solidarité locale, familiale ou professionnelle. C’est un choix assez logique : on se lance généralement en affaires avec des gens qu’on côtoie quotidiennement.


Gabriel Cormier fait un autre constat : le succès n’est pas toujours garanti. Plusieurs difficultés se dressent devant les ambitions des nouveaux propriétaires de navires. Tout d’abord, l’investissement initial est risqué. Quand on est un simple fermier ou pêcheur – déjà endetté, de surcroît – le soutien de la famille ou d’un collègue ne suffit pas toujours à défrayer les coûts de l’acquisition d’une goélette. La solution est simple : contracter une nouvelle dette, et espérer un bon retour sur l’investissement. Plusieurs propriétaires y arrivent, mais d’autres doivent revendre leur navire à leurs créanciers pour payer la dette.


Gabriel Cormier constate que le partenariat dans l’achat des navires suit des réseaux divers. Ils sont soit orientés sur une solidarité locale, familiale ou professionnelle. C’est un choix assez logique : on se lance généralement en affaires avec des gens qu’on côtoie quotidiennement.


Ceux qui parviennent à trouver les fonds suffisants pour dédaigner la créance réussissent assez souvent à réduire leur dépendance financière de manière significative, et surtout à long terme. Mais leur entreprise peut frapper d’autres écueils : en admettant que la pêche soit bonne, et qu’on évite le naufrage, encore faut-il utiliser les navires à bon escient. Car un navire qui reste à quai coûte cher. Que ce soit avec le transport de la marchandise ou la pêche, les propriétaires de navires tentent donc, au possible, d’exploiter leur embarcation au maximum.


Gabriel Cormier illustre bien toutes ces problématiques en racontant les péripéties de la famille Quigley, dont le père se déclare pêcheur en 1871. En 1883, ce dernier a pris du galon : il est devenu « maître-navigateur » et la famille achète un voilier de 73 tonneaux. Pour l’obtenir, elle doit contracter une dette auprès d’un marchand. Le navire ne fait toutefois pas du tout l’affaire, et il est cédé au créancier après une durée très courte. Mais les Quigley ne désespèrent pas : ils rachètent leur ancien voilier, qui est nettement plus petit (40 tonneaux). Ce dernier coule à la fin des années 1890. Et c’est apparemment leur dernier revers de fortune dans cette industrie. Car les Quigley, apparemment sans nouveau capital à investir, retournent à la terre. En 1911, l’aîné de la famille apparaît toujours comme fermier dans le recensement, et la mer ne semble alors plus qu’un lointain souvenir.