Toutes les femmes sont d'abord ménagères

Toutes les femmes sont d’abord ménagères : un livre politique


Par Guillaume Bouchard Labonté


Invitée en mars dernier dans le cadre des conférences CAL-SHGIJ, Camille Robert avait choisi la formule du dialogue plutôt que celle du simple exposé magistral. Elle était notamment parvenue à établir une connexion entre les expériences du public et le sujet de son mémoire de maîtrise. Un tour de force ? Pas tellement, puisqu’il portait sur le travail ménager : tout le monde était donc de près ou de loin concerné. Les histoires de famille entendues ce jour-là ont remonté à parfois plus de 70 ans.


Son livre, issu du mémoire de maîtrise qui a inspiré cette conférence, est d’un tout autre ordre. Il est tout d’abord d’une grande densité : il couvre dix-sept ans de débats animés et de revendications sur la reconnaissance du travail ménager, et plus spécifiquement de la question du salariat. Ce vieux projet était déjà présent dans les textes d’Éva Circé-Côté, au milieu des années 1920. Et il ne cesse pas de provoquer des discussions et des actions dans les décennies suivantes, au sein même du mouvement féministe.


Deux positions s’opposent assez radicalement au cours de la période étudiée : plusieurs militantes féministes revendiquent ce salaire. Elles n’ont cependant pas la vie facile. Camille Robert évoque tous les écueils sur lesquels elles doivent éviter de fracasser leur idée : la provenance de ce salariat posait par exemple un problème difficile à résoudre (patrons du mari? Gouvernement? Le mari lui-même?). Les solutions proposées, notamment par les féministes marxistes du Front de Libération de la Femme, sont souvent radicales : selon elles, l’exploitation des ménagères est indissociable de l’exploitation capitaliste. Et on ne peut abolir l’une sans abolir l’autre!


D’autres militantes privilégient des solutions différentes. Elles considèrent qu’un salaire remis aux ménagères inciterait celles-ci à rester cantonnées dans leur rôle traditionnel et nuirait donc, à terme, à leur émancipation. Cette position a ses propres failles : car malgré l’accès plus facile des femmes au milieu du travail, un grand déséquilibre subsiste. Les femmes continuent de fait à exécuter la majorité des tâches ménagères.


De très nombreuses organisations féministes, entretemps, se font et se défont : Le FLF est dissout en 1971, le Centre des femmes en 1975. Les Éditions du Remue-Ménage (toujours actives)  sont fondées en 1976. Cela a certainement un impact sur les débats, que l’historienne détaille toujours avec soin.


Camille Robert ne manque pas, non plus, de faire un lien avec le présent. Selon elle, il est nécessaire d’établir un parallèle entre ce débat et la situation des personnes proches-aidantes, aides familiales (souvent migrantes), travailleuses du sexe et même celle des stagiaires qui ne reçoivent souvent aucun salaire.


Le mémoire de maîtrise dont est tiré Toutes les femmes sont d’abord ménagères s’est mérité le « Prix du Livre politique » en 2017 : on comprend pourquoi. Outre la qualité indéniable de l'ouvrage, on constate que le débat et la lutte sont l’axe central autour duquel gravite toute cette recherche. Son objectif n’est donc pas de détailler socialement l’évolution de la condition de ménagère au Québec. On peut en garder l’impression que la baisse de la natalité, la démocratisation de nouvelles technologies ainsi que divers changements économiques et sociaux restent secondaires dans une lutte qui apparaît avant tout comme idéologique. Que la lectrice et le lecteur se rassurent, l’auteure cite d’autres publications qui ont déjà creusé cette question, ainsi qu'un documentaire très pertinent de Luce Guilbeault, disponible sur Youtube.


Si vous avez manqué la conférence de Camille Robert en mars dernier, cette lecture peut vous permettre de mieux comprendre cet enjeu. Si vous avez vécu cette période de lutte politique, vous vous y reconnaîtrez sans doute.


Toutes les femmes sont d’abord ménagères : histoire d’un combat féministe pour la reconnaissance du travail ménager, Québec 1968-1985.

Camille Robert

Éditions Somme Toute, 2017, 180 pages.