Une référence acerbe au passé d'A.B. Papineau
Une référence acerbe au passé d'André Benjamin Papineau
Par Guillaume Bouchard Labonté - 29 juillet 2019 (reprise du 23 mai 2017)
Chaque année, plusieurs personnalités profitent de la Journée nationale des patriotes pour donner leur avis sur les évènements de 1837-1838. Et si les commentaires ne sont pas toujours élogieux, la toponymie témoigne toutefois du respect qu’on porte maintenant à beaucoup de patriotes. Mais le portrait, quelques années à peine après les rébellions, est différent. La population est bien plus divisée et la blessure encore profonde. Et lorsque la tension monte, certaines vieilles rancœurs refont souvent surface.
L’exemple d’André Benjamin Papineau l’illustre bien. Né en 1809 à Montréal, dans la paroisse Notre-Dame, il est très connu sur l'île Jésus parce qu'il y a vécu pendant une bonne partie de sa vie. Fortement impliqué dans la société civile - particulièrement en éducation - il a laissé derrière lui plusieurs traces écrites de son passage. Or, en revisitant son histoire, nous avons pu constater que son rôle lors des rébellions de 1837-38 ne représentait absolument pas un tabou pour ses opposants des décennies suivantes. Surtout lorsqu'il s'agissait d'attaquer sa crédibilité. À Saint-Martin, les couteaux volaient bas!
En effet, entre 1847 et 1848, alors qu’il livre régulièrement des discours sur le parvis de l’église de Saint-Martin, l’ancien patriote fait l’objet de sévères remontrances. Selon l'auteur d'une lettre virulente, il aurait en effet fomenté des « troubles » en critiquant les propos tenus en chaire par le curé Caron et plus tard, les agissements de ses collègues marguilliers. Sans doute pour faire aboutir les plaintes faites à l’évêque de Montréal, on ne manque pas d’évoquer le passé patriote du célèbre cousin de Louis-Joseph :
« Et comme Papineau ne cesse de faire de l’opposition à la loi et qu’il a été, comme tant de monde le sait, l’un des plus grands fauteurs de troubles politiques de 1837, les avis du prédicateur n’ont pas laissé que de l’aigrir beaucoup […] »[1]
Les « avis du prédicateur » en question concernent eux aussi son implication dans les rébellions. On ne peut donc pas accuser Papineau de ne pas s'être mêlé de ses affaires en lui répliquant! Cependant, le fond de la querelle ne porte pas sur le passé de Papineau, mais bien sur l’établissement d’une taxe scolaire foncière[2]. Les « troubles » dont parle P.F. Filiatreault, auteur de la lettre, ne se limitent pas à Saint-Martin. On les surnomme aujourd’hui la « guerre des Éteignoirs ». Dans ce contexte, l’insinuation est un problème relativement mineur, puisqu’en 1848, Papineau est traîné devant le gouvernement suite à une pétition qui exige sa démission de différentes charges qu’il occupe dans l’administration publique. Louis Bélanger, un rival, est un des seuls à y faire encore référence aux rébellions. Mais il est particulièrement virulent :
« Ceux qui, dans cette paroisse, s’opposent à la loi de l’éducation sont des gens qui ont toujours fait de l’opposition au gouvernement, et notamment en 1837 et 1838. De plus, je prends la liberté grande de remarquer, que le gouvernement a fort mal fait de revêtir de place et de charge honorable plusieurs de ces gens qui, dans les années susdites ont été chefs de rébellion [...] Ce qui, aujourd’hui, enhardit nos habitants ignorants à faire de l’opposition à la loi [...], c’est parce qu’ils ont vu que ce même gouvernement a donné des charges honorables aux rebelles [...] ».[3]
Avoir promis de payer les taxes « avec des pelotes de neiges » est un autre méfait qu’on reproche à A.B. Papineau. Mais celui-ci ne se laisse pas démonter par les procès et insinuations. Il continue d’agiter la paroisse. Si bien qu’en 1850, les marguilliers le poursuivent à leur tour en justice : il est alors accusé de libelle diffamatoire[4]. Ces multiples césures en apparence paroissiales rejoignent véritablement des débats plus larges, que ce soit ici, spécifiquement, l’éducation des enfants ou plus largement l’héritage intellectuel des rébellions. Elles montrent aussi que le passé des patriotes pouvait revenir les hanter, car leurs contemporains ne les considéraient pas tous comme des héros.
[1] SHGIJ, P10/A1, 2. P.F. Filiatreault. « Lettre du 27 mars 1847 à Mgr l’évêque de Montréal.»
[2] Laure Gauthier-Pelletier. « André-Benjamin Papineau ». Cahiers d’histoire de l’île Jésus, SHGIJ, numéro 2, 1985, p. 38.
[3] «Destitution d’André-Benjamin Papineau de sa charge de commissaire (petites causes).» Journal of legislative Assembly, 25 février 1848 - 23 mars 1848. Appendice.
[4] SHGIJ, P10/A1, 2. « Procuration donnée par les marguilliers de la paroisse St-Martin à Louis Bélanger ». 14 octobre 1850, no 519. Aussi illustration.