L'Auberge Tassé, entre mythe et réalité
L'Auberge Tassé, entre mythe et réalité
Par Yvon Ouimet, chercheur indépendant - 23 septembre 2019
Je m’intéresse à l’histoire de Sainte-Rose depuis une quarantaine d’années. En 2008, je prends ma retraite et nous déménageons au 177 rue Lepage, en plein cœur du Vieux Sainte-Rose. Fort de mon expérience et les circonstances étant alors toutes réunies, j’entreprends dès lors des recherches pour raconter l’histoire du village Sainte-Rose depuis le début de la colonisation de son territoire vers 1729 jusqu’à aujourd’hui.
Ma méthode reste toujours la même : faire la chaîne de titres de toutes les terres et emplacements sur le territoire du village tout en prenant connaissance de tout ce qui a été écrit et photographié à Sainte-Rose, en gardant une attention particulière sur le village.
Puisqu’il faut bien débuter quelque part, je me suis tout d’abord intéressé au patrimoine bâti connu du village et mon regard est tombé assez rapidement sur l’Auberge Tassé (970 rue des Patriotes) et l’Hôtel Laval (147 boulevard Sainte-Rose - Coin nord-ouest, à l’intersection du boulevard Sainte-Rose et de la rue des Patriotes).
Lors de mes recherches préliminaires, j’en suis rapidement arrivé à une surprise de taille. Je découvre que, vers 1830, un certain Augustin Tassé est propriétaire de l’emplacement de l’Hôtel Laval. Je sais aussi qu’une maison en pierre occupe l’emplacement depuis 1800. Il semble donc évident qu’Augustin Tassé y exploite son auberge au moment de la rébellion des patriotes de 1837-1838, d’autant plus qu’à la même époque, entre 1824 et 1855, l’emplacement de la maison en pierre située au 970 rue des Patriotes semble appartenir à la famille Joly.
L’auberge Tassé aurait donc occupé, non pas l’actuel 970 rue des Patriotes, mais bien le 147 boulevard Sainte-Sainte-Rose, au coin nord-ouest de l’intersection du boulevard Sainte-Rose et de la rue des Patriotes.
L’hypothèse semblait au départ tellement farfelue! Les écrits historiques contemporains et la rumeur populaire généralisée ne peuvent pas se tromper à ce point, pensais-je.
Suite à ma demande, la SHGIJ m’informe qu’à sa connaissance, il n’existe aucun dossier historique prouvant que l’auberge Tassé était bel et bien située au 970 rue des Patriotes. Mon hypothèse est parue soudainement moins farfelue.
Vers 2010, les propriétaires de l’Hôtel Laval font démolir l’édifice et, sous les décombres, on retrouve un vieux mur en pierre encore debout sur le côté « ouest » de la maison, avec des vestiges en pierre çà et là, une cheminée, un bout de mur, etc. Quelle découverte intéressante ! Dans tous nos livres d’histoire et dans la rumeur publique, on avait jamais entendu parler de l’existence d’une maison en pierre à cet endroit. Ce vieux mur en pierre, dont l’histoire remonte à plus de 200 ans, fut un indice supplémentaire qui devait valider mon hypothèse.
Cet indice archéologique m’a aussi poussé à explorer davantage. Pour moi, ce fut une sorte d’évènement déclencheur. À partir de cette découverte, ma recherche a donc repris de plus belle.
À partir de ce moment, l’enquête avance assez rapidement : visite aux archives du Séminaire de Québec, recherche intensive à la Société d’Histoire et de Généalogie de l’île Jésus et aux Archives de Montréal. Des photos inédites et une lecture attentive du livre du curé Urgel Demers Histoire de Sainte-Rose - 1740-1947 ainsi qu’une photo tirée du livre de l’abbé Élie-J. Auclair Sainte-Rose de Laval - 1740-1940 viennent finalement confirmer les faits. Toutes ces sources pointent vers la même conclusion : l’Auberge Tassé a bel et bien occupé le site du futur Hôtel Laval.
La SHGIJ est rapidement informée du résultat de ma recherche et à compter de ce moment-là, la Société, madame Bodeven en tête, collabore à ma recherche. Dans un premier temps, on s’est entendus pour ne pas ébruiter la nouvelle avant d’avoir accumulé suffisamment de documentation. Entre autres, je devais compléter la chaîne de titres de la maison en pierre située au 970 rue des Patriotes, ne serait-ce que pour connaître parfaitement bien son histoire et éliminer toutes les possibilités de relations entre elle et Augustin Tassé.
La recherche a été longue et ardue, mais elle a payé. La chaîne de titres complétée de la maison en pierre nous informe que François Joly a d’abord acquis l’emplacement vacant en 1824 pour y faire construire l’édifice entre 1824 et 1831, au profit de son fils Jean-Baptiste Joly, surnommé « Garçon ». Ce dernier, menuisier, obtient la propriété en 1831 et la conservera jusqu’en 1865. Ça ne laisse guère de place à l’Auberge Tassé ! En examinant de plus près la documentation, je n’y trouve pas, non plus, la moindre trace de relation formelle entre cette propriété et Augustin Tassé.
Plus important encore : la chaîne de titres nous a permis de découvrir et de connaître tant l’histoire méconnue de cette maison en pierre et que les motivations et les circonstances qui ont mené à son illustre destin.
Notons que tout au long du processus de recherche, j’ai presque espéré avoir tort. Il n’est pas aisé de bouleverser cinquante ans de croyances et surtout, de reconnaissance. J’ai aussi craint que cette découverte n’amène une certaine déception chez beaucoup de gens qui se sentent concernés par l’histoire de cette maison patrimoniale. J’ai presque souhaité qu’un historien chevronné vienne déboulonner le résultat de mes recherches. D’un autre point de vue, j’ai trouvé passionnant de découvrir la nouvelle réalité et je pense qu’il est important d’en informer la population, afin de rétablir l’exactitude des faits historiques, au profit de nos contemporains et des générations futures.