Un joyau gastronomique à Saint-Elzéar

par Sophie Ouimet


Après notre chronique sur la Maison Vinet, pourquoi ne pas s'intéresser plus précisément à un établissement qui y a élu résidence? Voici donc un voyage dans la mémoire des amateurs de bonne chère…  St-Elzéar, vraisemblablement entre 1937 et 1948. Des gastronomes se dirigent vers une maison de pierre où les accueille un labrador aveugle. Tout ce beau monde vient déguster les plats d'un cuistot français, un certain Éberlé, engagé par Eddy Prévost pour son établissement de restauration : l'Auberge aux Deux-Lanternes.


Peut-être parmi ces gens se trouve-t-il des membres de « l'Ordre des fumeurs de pipe de plâtre »? En  effet, plusieurs habitués de la maison possèdent un certificat d'appartenance à ce groupe, qui se réunit simplement autour de l'âtre du restaurant pour fumer et bavarder gaiement. L'ambiance est bonne à l'Auberge aux Deux-Lanternes. D'ailleurs, plusieurs clients sont devenus bons amis avec M. Prévost.


À ce sujet, il faut dire que ce dernier se dévoue pour sa clientèle. En plus d'avoir déniché un cuisinier de talent, il trouve toujours un moyen pour bien arroser les repas, malgré qu'il soit dépourvu du permis pour le faire. Pourquoi n'a-t-il pas droit à ce permis? Certains pensent que M. Prévost ne vote tout simplement pas « du bon bord »…


Évidemment, il est difficile pour un restaurant qui aspire à nourrir de grands gourmets de se passer de vin. M. Prévost doit donc user de ruse pour déjouer les inspecteurs, servir la boisson dans des tasses notamment. Pas de bouteille sur les tables, pas de verres où le vin serait trop visible. Cette stratégie s'accompagne de diverses autres qui, ensemble, permettent à l'établissement de « rouler sa bosse ».


Pour un temps du moins.

Pour un temps parce que si l'Auberge aux Deux-Lanternes ferme ses portes, la relation houleuse entre M. Prévost et la Commission des liqueurs n'y est pas pour rien. L'auteur Robert Prévost écrit dans son livre Mon tour de jardin :  « … on ne joue pas impunément à cache-cache avec l'astuce des inspecteurs. Il faut bien qu'un jour tombe le couperet […] à la grande  tristesse de nombreux gastronome dont (Eddy Prévost) avait gagné l'amitié. »


L'aventure de l'Auberge aux Deux-Lanternes n'aura finalement duré que peu de temps. Cependant, l'endroit aura été suffisamment connu pour y attirer gourmets et cultivés, de même que pour être considéré comme l'un des premiers établissements gastronomiques de la périphérie montréalaise.


En outre, L'Auberge aux Deux-Lanternes a accueilli des visiteurs de renom. Par exemple, le 19 mai 1942, l'aviateur et écrivain Antoine de Saint-Exupéry s'y serait arrêté. Il aurait signé le livre d'or et accompagné sa signature d'un dessin de son plus célèbre personnage : le Petit Prince. Saint-Exupéry aurait fait dire ceci à ce dernier, dans le livre d'or : « Quand la guerre sera finie, si je reviens de cette promenade vers Ariel, j'irai visiter le Canada, qui est un pays merveilleux. »