Histoire des évasions - Deuxième partie

Petite histoire des évasions au pénitencier de Saint-Vincent-de-Paul -  deuxième partie, l'évasion de Mesrine


Par Guillaume Bouchard Labonté, avec la collaboration de Michel Danis - 11 décembre 2017

Retour à la première partie


La Presse, 22 août 1972, p. A3.


« À l’USC, on casse même l’acier. »

-Chef Gauthier à Mesrine, lors de son incarcération.


Condamné pour attaque à main armée, le criminel d’origine française Jacques Mesrine est détenu au Québec pendant plus d’un an. L’expérience lavalloise du célèbre bandit est racontée dans L’instinct de mort, qu’il écrit quelques années plus tard et qui détaille (tout en exagérant peut-être un peu) plusieurs des épisodes les plus agités de sa vie.


Mesrine est temporairement enfermé à la prison de Sainte-Anne-des-Plaines, où il ne semble couver qu’un seul projet : s’évader. Malheureusement pour lui, trois de ses co-détenus éxécutent avec succès et avant lui un plan similaire au sien. On enquête et on découvre la cachette utilisée par un des fugitifs, Jean-Paul Mercier, un habitué des évasions de prisons à sécurité maximale[1]. Toutes les cellules sont donc fouillées. Trois couteaux, un crochet et une corde sont trouvés dans le châssis d’éclairage de la cellule de Mesrine.


L’USC de Laval


Mesrine est bientôt transféré à l’USC : l’Unité Spéciale Correctionnelle, annexée au pénitencier de Saint-Vincent-de-Paul. C’est un séjour pénible. Les gardes y sont connus pour leurs abus, les cellules sont dépourvues de fenêtres et éclairées 24 heures sur 24. Le moindre écart de conduite est puni sévèrement. Dans ses mémoires, Mesrine raconte que le chef de la sécurité, Gauthier, aurait lancé à un autre prisonnier : « L’USC, c’est un cimetière à détenus et je t’y ferai crever. » À l’époque, la vieille aile du pénitencier de Saint-Vincent-de-Paul est déjà une installation vétuste. Elle a très mauvaise réputation : nous y reviendrons. L’USC, quant à elle, est un édifice bien plus moderne qui n’accueille ses premiers pensionnaires qu’en 1968[2]. Dans le premier article de notre série sur les évasions du pénitencier de Saint-Vincent-de-Paul, nous avons mentionné que plus de 20 tentatives d’évasions avaient eu lieu en 1883[3]. Un siècle plus tard, à l’USC, la situation est légèrement différente. C’est là qu’on enferme une bonne partie des spécialistes de l’évasion, justement pour les empêcher de récidiver. Quelques détenus parviennent toutefois à sortir de l’enceinte. C’est le cas de quatre d’entre eux[4], dont Réal Dupuis, à l’été 1969. Ce dernier est recapturé près des murs de la prison après seulement vingt minutes de liberté[5]. Un autre trio prend la fuite en 1971, mais il est également neutralisé[6]. Les chances de succès de Mesrine semblent donc a priori assez faibles.


Le 21 août 1972, avec la complicité de plusieurs autres détenus et profitant de la négligence des gardiens postés sur les miradors, six détenus parviennent à s’enfuir en sciant les deux clôtures de l’enceinte.


Le plan de Mesrine et de ses compères


Mesrine passe deux mois à faire du repérage avec son premier complice, Edgar Roussel. Ils ne parviennent pas à élaborer de plan avant que d’autres compères, dont Jean-Paul Mercier, ne soient repris et les rejoignent à l'USC. Les conditions de détention difficiles et la soif de liberté incitent le petit groupe à poursuivre leur réflexion. Et c’est en pensant au terrain de tennis en terre battue qui a été aménagé au milieu de la cour de la prison que la faille est découverte. On y utilise en effet des raquettes de bois artisanales, créées à l’atelier de menuiserie où on fait travailler les détenus. Mesrine et Mercier seraient parvenus à cacher des limes dans le manche de nouvelles raquettes qu’ils ont confectionnées pour remplacer les anciennes, et les auraient fait sortir de l’atelier par le chef Gauthier lui-même.


Le 21 août 1972, avec la complicité de plusieurs autres détenus et profitant de la négligence des gardiens postés sur les miradors, six détenus parviennent donc à s’enfuir en limant les deux clotûres de l’enceinte. Ils rampent sur plus de 150 mètres avant d’atteindre un bosquet. Ils se mettent ensuite à courir, gagnent la route. Mercier et Mesrine, qui sont du groupe, prennent deux automobilistes en otage[7] et traversent la rivière des Prairies. Ils sont enfin libres.


Le duo Mercier-Mesrine attaque le pénitencier


Auto-patrouille 10-1 après avoir essuyé les rafales. Le Courrier Laval, mercredi 6 septembre 1972, p. 4.On pourrait croire que les fugitifs auraient tout fait, dès lors, pour quitter le pays. Le surlendemain de leur évasion, on cherche d’ailleurs Mercier et Mesrine jusqu’au Nouveau-Brunswick[8]. Ils obtiennent en outre des faux passeports, remis au vu et au su de la police dans l’objectif de favoriser leur capture[9].  Mais Mesrine et son complice n’ont pas l’intention de partir tout de suite. Car ils ont fait une promesse à leurs amis restés derrière : ils reviendraient pour les libérer. L’attaque[10] méticuleusement organisée est toutefois un désastre. Alors que leur Dodge passe devant le pénitencier de Saint-Vincent-de-Paul, au cours de l’après-midi du dimanche 3 septembre 1972, ils sont repérés par une autopatrouille. Plutôt que de filer immédiatement, les deux hommes armés de carabines semi-automatiques USM1[11] échangent des coups de feu avec les policiers Viau et Morin[12].


Les gardiens se mettent alors de la partie. L’un d’eux, armé d’une .303, tire sur les deux criminels à partir d’un mirador[13]. Mercier est atteint de deux projectiles : un à la jambe et l’autre au bras. La Dodge est criblée de balles. Reconnaissant l’échec de leur tentative, ils rejoignent une autre complice, qui les attend à bord d'un autre véhicule, et disparaissent. Mesrine, de retour en France, ne sera recapturé qu’en mars 1973[14]. Ce ne sera pas sa dernière cavale. Pour Mercier non plus. Ce dernier devait s’enfuir une deuxième fois de l’USC le 13 mai 1973 avec quatre autres détenus[15], et une dernière fois du même pénitencier le 23 octobre 1974 en compagnie de Richard Blass[16].


Lire la conclusion.



[1] « Deux clients de « la passoire » ont failli s’évader lundi soir ». Le Soleil, 30 septembre 1971, p. 13.

[2] Michel Auger. « Quelques minutes de liberté pour trois détenus de Saint-Vincent. » La Presse, 20 septembre 1971, p. A3.

[3] Dans les années 1960, l’hémorragie se poursuit. Le célèbre Lucien Rivard, entre autres, s’évade de Saint-Vincent-de-Paul en 1965 après qu’on lui ait permis d’arroser la patinoire, et Yves Geoffroy en 1972 après avoir obtenu la permission de sortir temporairement pour marier sa fiancée. « Diefenbaker réclame la démission de Goyer ». Le Devoir, 15 janvier 1972, p. 1. Juste après l’évasion de Mesrine et de ses compagnons, plusieurs autres détenus parviennent à s’enfuir de l’Institut Leclerc, attenant à l’USC. « Évasion » La Presse, 30 octobre 1972, p. A6.

[4] Michel Auger. « Quelques minutes de liberté pour trois détenus de Saint-Vincent. » La Presse, 20 septembre 1971, p. A3.

[5] « Évadé vite repris ». La Presse, 23 juillet 1969, p. 6.

[6] Michel Auger. « Quelques minutes de liberté pour trois détenus de Saint-Vincent. » La Presse, 20 septembre 1971, p. A3.

[7] Une partie de ce récit est racontée dans les médias en janvier 1973. Les faits racontés dans la comparution d’Imbeault semblent concorder assez bien avec le récit qu’en fait Mesrine, moins quelques détails. Léopold Lizotte. « Un témoin s’excuse auprès d’un accusé 30 minutes après l’avoir inculpé de hold-up ». La Presse, 27 janvier 1973, p. B7.

[8] Jos.-L. Hardy. « Les auteurs d’un hold-up au N-B : trois des évadés? » Le Soleil, 23 août 1972, p. 2.

[9] « Les passeports de Mesrine et de Mercier ont été émis à la demande de la Sûreté du Québec et de la GRC (Sharp et Goyer). » Le Soleil, 18 novembre 1972, p. 9.

[10] Elle est globalement beaucoup moins commentée que l’évasion. Louis-Bernard Robitaille ne lui consacre qu’une ligne, par exemple, dans son long article de 1978 dans La Presse. « Mesrine, monstre ou héros du mal? » La Presse, 3 novembre 1979, p. F28.

[11] Une arme de petit calibre utilisée depuis les années 1940.

[12] « Deux policiers mitraillés près du pénitencier ». Le Courrier Laval, 6 septembre 1972, p. 4.

[13] Ibidem.

[14] « Mesrine capturé en France ». La Presse, 9 mars 1973, p. A3.

[15] François Trépanier. « La Sûreté du Québec avait alerté les gardiens de Mercier ». La Presse, 15 mai 1973, p. A1. Et « Ottawa décrète une enquête sur les multiples évasions ». La Presse, 14 mai 1973, p. 1.

[16] « Mercier, Blass et compères s’évadent grâce à une amie qui leur passe des armes ». Le Devoir, 24 octobre 1974, p. 6.


Images :
La Presse, 22 août 1972, p. A3.

Auto-patrouille 10-1 après avoir essuyé les rafales. Le Courrier Laval, mercredi 6 septembre 1972, p. 4.