Histoire des évasions - Première Partie

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Petite histoire des évasions au pénitencier de Saint-Vincent-de-Paul -  première partie, 1880-1958.


Par Guillaume Bouchard Labonté - 16 octobre 2017


« Aujourd’hui, ces édifices immenses remplis de milliers de détenus, les grands champs déserts qui les entourent, le grand nombre de gardes et d’officiers qui y circulent, tout cela donne à Saint-Vincent une atmosphère de tristesse. »

- J.-Urgel Demers. Aperçus historiques sur l’île Jésus. Montréal, L’Atelier, 1957, p. 139.


Le Pénitencier de Saint-Vincent-de-Paul n’avait rien à voir avec Alcatraz, sinon le désir qu’avaient beaucoup de détenus de s’en échapper. Et pour un nombre impressionnant d’entre eux, ce n’était pas que de simples rêveries. Saint-Vincent-de-Paul reste marquée par de spectaculaires tentatives d’évasion.


Le Pénitencier de Saint-Vincent-de-Paul, dès sa création, vise tant la punition que la « rééducation ». Il ne faut cependant pas se leurrer: derrière les nobles intentions se cache une exploitation sans scrupules travail des détenus. Mais on fournit aussi à ceux-ci des outils, et on les fait souvent travailler en périphérie. Selon ce qu’on en raconte, les gardiens ne sont pas non plus d’une vigilance à toute épreuve, et au début des années 1880, les accès d'une partie de l’ouest de l'enceinte sont défendus par une « palissade » de bois. Le nombre élevé de disparitions n’est donc pas particulièrement étonnant. Selon André Forget, « l’année 1883 peut être considérée comme une année record avec vingt tentatives d’évasion, dont cinq réussies. »[1] Quelque part entre 1875 et 1881, cinq détenus parviennent aussi à s’évader. Ils sont audacieux : ils attaquent un mécanicien et des gardes, qu’ils désarment et ligotent. Sous le regard ahuri d’une partie de la population de Saint-Vincent-de-Paul et des gardiens, ils traversent ensuite la rivière des Prairies à l’aide d’une embarcation. Attendus de l’autre côté, ils profitent néanmoins du couvert de la nuit pour disparaître : seul l’un d’entre eux est repris[2].


Les détenus peuvent tenter de profiter du désordre pour s'évader. Très tôt, la population carcérale de Saint-Vincent-de-Paul fait trembler les murs qui la retient, et tout particulièrement en 1886. Lors d’une émeute commentée notamment dans La Patrie, plusieurs prisonniers tentent le tout pour le tout : ils confectionnent d’urgence une échelle de fortune et gravissent un des murs de la prison. Nous aurons d’autres occasions de parler spécifiquement de l’histoire des émeutes de Saint-Vincent-de-Paul. Disons donc simplement que l’émeute a réussi, mais pas l’évasion ; un des leaders, Corriveau, est atteint de plusieurs balles au moment où il essaie de pratiquer une ouverture dans la palissade, et l’échelle n’a pas donné de bien meilleurs résultats. Corriveau meurt de ses blessures. Louis Viau, un des fugitifs, est jugé et écope d’une peine supplémentaire de 25 ans[3].


Ce n’est que le début d’une longue tradition. En 1904, Louis Eumène et son compagnon Filiatreault s’enfuient[4]. La même année, un autre duo s’évade : Daniel Glass et J.E. Britt. Ils sont tous capturés. Le procès de Glass a lieu en 1909 alors que Britt, ce « redoutable bandit », est emprisonné au New Jersey[5]. En 1905, trois autres détenus parviennent à s’échapper du pénitencier[6].


Lors d’une émeute commentée notamment dans La Patrie, plusieurs prisonniers tentent le tout pour le tout : ils confectionnent d’urgence une échelle de fortune et gravissent un des murs de la prison.


Il semble y avoir moins d’évasions éclatantes dans les décennies suivantes. Ou du moins, elles font plus rarement les manchettes. Forget met l’apparente diminution des évasions sur le compte de l’adoption du Civil Service Amendment Act en 1908[7]. Tout de même : en 1915, Lucien Leclair tente le coup, sans succès. Il est blessé et repris. Le Devoir annonce qu’il avait quelques complices : l’un d’eux était Ismaël Bourret, emprisonné à vie pour le meurtre d’un policier[8]. En 1917, un dénommé Burns, condamné pour vol, file à l’anglaise. On lance des recherches qui restent infructueuses[9]. En 1921, c’est au tour de John Bryson de se faire la malle[10]. William Edwards, l’année suivante, fait la prison buissionnière : alors qu’il est employé à creuser une tranchée, une tâche particulièrement pénible, il trompe l’attention des gardes et saute la clôture. Il profite de ses instants de liberté pour assister à une danse à Kahnawake. Repris à Saint-Régis, il déclare que « la tentation de prendre la fuite était tellement grande qu’il n’avait pas pu y résister »[11]. Jules Lagacé, qui devait accumuler trente ans de récidives, réussit quelques années plus tard à passer entre les mailles du filet[12]. En 1923, deux autres détenus faussent compagnie à leur gardien et s’emparent d’un canot, qu’ils manoeuvrent avec des pelles. Malgré la nature improvisée de leur acte, le dangereux courant de la rivière et la pluie de balles, William G. Macdonald et John Clark « disparaissent derrière les maisons de Montréal-Nord. »[13] Quatre hommes planifient beaucoup mieux leur évasion en 1945 : c’est avec de l’argent et des vêtements civils qu’ils prennent la clef des champs avant d’être retrouvés cachés dans une grange, sous une botte de foin[14]. Gaston Martel, lui, compte sur le soutien de plusieurs complices : après avoir pris la poudre d’escampette, il se réfugie chez des habitants du coin. Trois femmes et deux hommes – qui font mine de ne pas reconnaître le fugitif – sont mis aux arrêts suite à cette affaire, accusés d’avoir aidé Martel et/ou d’avoir menti sous serment[15].


Si la sécurité est graduellement renforcée, les gardiens mieux formés et le « panoptique »[16] refermé hermétiquement, quelques nouvelles évasions (et parmi les plus célèbres de l’histoire du Québec) ont cependant eu lieu dans les décennies soixante et soixante-dix au pénitencier de Saint-Vincent-de-Paul. Mais elles méritent beaucoup plus qu’une simple mention. Nous leur consacrerons donc un article en entier, prochainement.


Lire la deuxième partie



[1] André Forget. Petite histoire du pénitencier de Saint-Vincent-de-Paul. Laval, SHGIJ, 2004, p. 52.

[2] Ibid, p. 52.

[3] « Le procès de Viau ». La Patrie, 11 juin 1886, p. 2.

[4] « De partout ». Le Courrier de Saint-Hyacinthe, 14 mai 1904, p. 2.

[5] « À propos du terme de mai des assises criminelles à Saint-Jean. » Le Canada français (Saint-Jean-sur-le-Richelieu). 16 avril 1909, p. 16.

[6] « Journalisme progressif », La Vérité, avril 1905.

[7] Forget, op. cit. 2004, p. 52.

[8] « Bourret était du complot ». Le Devoir, 23 avril 1915, p. 6.

[9] « Évasion à St-Vincent-de-Paul ». Le Devoir, 14 juillet 1917, p. 3.

[10] « Une évasion ». Le Devoir, 31 octobre 1921, p. 5.

[11] « W. Edwards retourne au pénitencier ». La Presse, 21 août 1922, p. 16.

[12] « Lagacé est accusé de vol à main armée et de tentative de meurtre ; enquête le 18. » La Presse, 11 mars 1958, p. 3. Son évasion date du 1er août 1930.

[13] « Évasion au pénitencier ». Le Devoir, 22 mai 1923, p. 2

[14] « Quatre évadés repris à Saint-Vincent-de-Paul ». Le Devoir, 3 août 1945, p. 2.

[15] « Témoins envoyés aux cellules, au procès des Cusson. » La Presse, 2 novembre 1956.

[16] Philosophie d’organisation carcérale et type architectural qui permet notamment aux gardiens de tout voir sans être vus, et qui doit en principe donner l’impression au détenu que le moindre de ses gestes est surveillé par une force quasi-invisible. À l’origine un concept de prison circulaire élaboré par Jeremy Bentham, Foucault le caractérise plus globalement commme un système de contrôle social pouvant s’appliquer autant à la prison qu’à l’école et l’usine.