Histoire des évasions - conclusion
Petite histoire des évasions au pénitencier de Saint-Vincent-de-Paul - Troisième partie, conclusion
Par Guillaume Bouchard Labonté - 23 janvier 2018
Fugitifs armés et dangereux
L’affaire Mesrine est la série d’évènements la plus célèbre de l’histoire des centres de détention lavallois, et l’une des dernières à impliquer autant de violence. Mais malgré les échanges de coups de feu, ce drame ne fut pas le plus grave à impliquer des détenus et fugitifs du complexe carcéral lavallois au cours de l’histoire récente. Comme nous l’avons mentionné dans notre premier article, les fugitifs du début du siècle arrivent parfois à se saisir des armes des gardiens. Ils sont souvent suivis dans leur fuite par une pluie de balles, et il arrive qu’ils retournent la politesse. Mais la prison est alors une véritable passoire. Or, des mesures de sécurité plus élevées rendent de facto les évasions plus spectaculaires… et dangereuses.
Il est aussi possible de noter une différence majeure dans la participation de la population. Selon André Forget, il semble qu’au début du siècle, les habitants de la paroisse collaborent volontiers avec les autorités : une récompense est souvent associée à la capture de fugitifs[1]. En 1956, Gaston Martel compte au contraire sur le silence de plusieurs complices qui vivent dans les environs. Mesrine, toujours dans L’instinct de mort, affirme n’avoir eu qu’à dire qu’il s’évadait de l’USC pour terroriser deux automobilistes. Peut-être exagère-t-il cependant un peu : les victimes affirment qu’il aurait été armé d’un bout de tuyau de fer rouillé[2]. En 1973, c’est un appel anonyme qui permet la capture de trois autres évadés de l’USC, plutôt qu’une intervention directe de citoyens[3]. La peur semble avoir remplacé l’avidité, peut-être partiellement en raison des transformations dans la population carcérale. La plupart des évadés des années 1880 à 1940 que nous avons cités ont été arrêtés pour vol, avec ou sans effraction. Or, les détenus de l’USC ont une réputation plus violente. Plusieurs ont commis des vols à main armée ou ont reçu des peines de prison à vie[4]. Les gros titres des journaux ne contribuent pas non plus à calmer la foule. Certains criminels bénéficient également d’un réseau étendu à l’extérieur du pénitencier, voire de la sympathie d’une partie du public. Le respect, même d’une portion insignifiante de la population, leur est certainement plus utile que la terreur.
Des conditions insupportables
Globalement, on pourrait postuler que la situation des détenus s’est améliorée au Québec, entre 1860 et 1970. Mais ce n’est pas le cas dans chacun des centres de détention de la province. Si, quelques années après l’ouverture de la prison de Saint-Vincent-de-Paul, un détenu dit apprécier « le paysage »[5] – on doute cependant que les émeutiers de 1886 aient été du même avis – les témoignages du genre sont bien plus rares dans les décennies suivantes. Une commission d’enquête recommande sa démolition dès 1936[6]!
Le pénitencier devient graduellement l’un des plus durs du Canada. Les suites de l’émeute de juin 1962[7] en donnent un aperçu : une enquête révèle qu’un des détenus identifiés comme meneur, Alvin Gunn, a été sévèrement battu par un groupe de plus ou moins six gardiens. Le contrôle de la brutalité échappe même au nouveau directeur de la prison, Michel Lecorre, qui ne peut pas identifier les gardes qui font partie de cette « brigade de fiers-à-bras », car leurs collègues hésitent à les dénoncer! La situation est jugée assez sérieuse pour que le ministre de la justice, Lionel Chevrier, s’en mêle[8]. En 1965, un autre ministre de la justice, Guy Favreau, affirme qu’il aurait bien « mis une bombe sous la prison de Saint-Vincent-de-Paul, afin de pouvoir construire une nouvelle institution sans tarder. »[9] En 1966, le commissaire McLeod le qualifie de « dix fois pire » que « les autres pénitenciers du Canada »[10]. L’ouverture de l’USC en 1968 n’arrange rien, même si le rapport annuel de l’administration prétend que cette nouveauté a « engendré une réaction très positive de la part des détenus »[11]. L’année suivante, on suspecte que des bonbonnes de gaz aient été installées dans les cellules afin de les « calmer »[12].
En 1965, un autre ministre de la justice, Guy Favreau, affirme qu’il aurait bien « mis une bombe sous la prison de Saint-Vincent-de-Paul, afin de pouvoir construire une nouvelle institution sans tarder. »
En 1971, on annonce finalement sa fermeture prochaine, « d’ici trois ou quatre ans », selon le solliciteur général du Canada, Jean-Pierre Goyer[13]. À l’époque, c’est notamment le taux de suicide inquiétant des détenus de la section psychiatrique qui préoccupe les autorités[14], et également au moins un incident mortel pendant un incendie de cellule[15]. Malgré tout, il faudra attendre plusieurs décennies avant que la promesse ne soit finalement tenue, car le projet de fermeture avorte en raison de la surpopulation carcérale. De vieilles cellules désaffectées sont même remises en service au cours des années soixante-dix[16]. Et cette attente provoque d’importantes protestations : en 1978, notamment, l’Office des droits des détenus et La Ligue des droits de l’Homme organisent une manifestation pour condamner les conditions d’incarcération exécrables[17].
Mesrine mise abondamment sur cette mauvaise réputation pour politiser son évasion. Peu après sa fuite, il envoie un message au Journal de Montréal. Il y fait état de l’existence d’une « chambre à gaz » dans laquelle on enferme parfois les détenus indisciplinés, avant d’y répandre des substances lacrymogènes[18]. Un récit qui confirme les craintes formulées en 1969. Cette mauvaise publicité met l’administration dans l’embarras, et toutes les opinions formulées à l’époque ne sont pas absolument insensibles au sort des fugitifs. Les conditions de détention apparaissent si mauvaises à Me Pierre Cloutier, de la Commune juridique de Montréal, qu’il ira jusqu’à dire que les détenus « qui se sont évadés du bunker à sécurité maximale avaient le devoir moral de fuir un pareil enfer »[19].
Le Pénitencier de Saint-Vincent-de-Paul n’est définitivement fermé qu’en 1989. En 1990, il est désigné Lieu Historique National. Bien que le site gagnerait à être mieux préservé, il a laissé une trace indélébile dans l’esprit de tous ceux qui y ont été détenus et qui sont parvenus à en sortir, par la grande porte à l’échéance de leur peine ou bien avant, en « sautant » les murs. Il reste également un repère historique et physique incontournable pour la population du quartier.
Image : L’une des cellules sèches « bucket » en usage de 1873 jusqu’à la fin des années soixante. (Journal The Standard, 1948). Livret commémoratif de la fermeture du pénitencier Saint-Vincent-de-Paul, 1873-1989. Gouvernement du Canada, 1989, p. 11.
[1] André Forget. Petite histoire du pénitencier de Saint-Vincent-de-Paul. Laval, SHGIJ, 2004, p. 52.
[2] Léopold Lizotte. « Un témoin s’excuse auprès d’un accusé 30 minutes après l’avoir inculpé de hold-up ». La Presse, 27 janvier 1973, p. B7.
[3] « Trois des cinq évadés capturés à Longueuil ». Le Devoir, 19 mai 1973, p. 1.
[4] C’est notamment le cas de Réal Dupuis, de Roger Poirier et de Louis-Philippe Chamberland, dont nous avons parlé un peu plus tôt.
[5] André Forget, op. cit. 2004, p. 6.
[6] Il s’agit de la Commission Archambault. Elle dénonce entre autres le « climat de crainte perpétuelle » et les 350 cellules dépourvues d’installations sanitaires. « 115 ans d’histoire d’un coup d’œil ». Entre nous, service correctionnel du Canada, juin 1989, p. 7. Et Charles Meunier. « La fin des prisons? Les criminologues l’ont constaté : les prisons constituent de véritables manufactures de criminels en série. Que faire? » Québec Science, avril 1976, p. 34.
[7] La deuxième d’importance dans la décennie. Celle de 1960 aurait engendré des coûts de 1 million de dollars. Guy Deshaies. « Saint-Vincent-de-Paul n’accueillera plus de nouveaux détenus ». Le Devoir, 18 mars 1971, p. 3.
[8] « M. Chevrier : des mesures sont prises pour éviter des actes de brutalité dans les prisons. » Le Devoir, 31 octobre 1963, p. 14.
[9] « Favreau s’oppose à la peine capitale ». La Presse, 23 février 1965.
[10] « 115 ans d’histoire d’un coup d’œil ». Entre nous, service correctionnel du Canada, juin 1989, p. 17.
[11] Ibid, p. 8.
[12] C’est Robert Deslauriers, adjoint au directeur des recherches de l’Alliance de la fonction publique du Canada, qui l’affirme. McLeod qualifie les allégations de « ridicules ». PC. « Des gaz calmants utilisés contre les prisonniers de Saint-Vincent-de-Paul? » La Presse, 16 décembre 1969, p. 1.
[13] Guy Deshaies. « Saint-Vincent-de-Paul n’accueillera plus de nouveaux détenus ». Le Devoir, 18 mars 1971, p. 3. L’année suivante, les suicides devaient se poursuivre au pénitencier. James Coles, 22 ans, et Andrew Michael Marciniak, 20 ans, notamment, se pendent dans leur cellule (respectivement le 2 et le 5 décembre 1972). « Marciniak trouvé pendu dans sa cellule de St-Vincent-de-Paul ». Le Soleil, 7 décembre 1972, p. 65.
[14] Ibidem.
[15] « La mort du détenu Ericson est jugée accidentelle ». Le Soleil, 24 janvier 1973, p. 26.
[16] Charles Meunier, op. cit. 1976, p. 34.
[17] « Manifestation pour fermer Saint-Vincent-de-Paul. » La Presse, 11 juillet 1978, p. D11.
[18] « Ottawa décrète ». La Presse, 14 mai 1973, p. A6.
[19] « Protestations contre les conditions de détention à Saint-Vincent-de-Paul » La Presse, 23 août 1972, p. A8.